SCARFACE (BRIAN DE PALMA)
Un chef-d’œuvre absolu (1983) !
Contrairement à la plupart des grands réalisateurs, souvent assez réguliers, Brian De Palma présente cette étrange particularité protéique d’être véritablement capable du pire (Obsession, Mission to Mars) ou du juste standard (Outrages, Mission Impossible) comme du meilleur (Carrie, Body Double), voire de l’ultra génial (Blow Out, Carlitos's Way). Et bien évidemment, Scarface ("le balafré") appartient sans la moindre discussion possible à cette dernière catégorie :
Contrairement à la plupart des grands réalisateurs, souvent assez réguliers, Brian De Palma présente cette étrange particularité protéique d’être véritablement capable du pire (Obsession, Mission to Mars) ou du juste standard (Outrages, Mission Impossible) comme du meilleur (Carrie, Body Double), voire de l’ultra génial (Blow Out, Carlitos's Way). Et bien évidemment, Scarface ("le balafré") appartient sans la moindre discussion possible à cette dernière catégorie :
S’il y avait une journée en particulier pour voir et revoir ce chef d’œuvre inaltérable, c’était bel et bien aujourd'hui même en ce dimanche 6 mai 2007, date de l’accession de Nicolas Sarkozy aux plus hautes fonctions de l’état ; et le film s’ouvre d’ailleurs sur l’image de l’un des pires dictateurs du monde (800 millions de $, tout de même, d'après le magazine Forbes) :
Scarface est avant tout une fable sur la folie du pouvoir, et même, n’ayons pas peur des mots, une sorte de Richard III moderne tel que Shakespeare aurait pu l’écrire s’il avait vécu de nos jours...
Une histoire de conquête et d’ambition sans limite, donc, qui va conduire le jeune réfugié cubain Tony Montana (Al Pacino) à se hisser aux plus hauts sommets de la hiérarchie mafieuse en faisant feu de tout bois, et ceci dès son premier meurtre, juste histoire d’obtenir en échange la fameuse Green Card :
Une histoire de conquête et d’ambition sans limite, donc, qui va conduire le jeune réfugié cubain Tony Montana (Al Pacino) à se hisser aux plus hauts sommets de la hiérarchie mafieuse en faisant feu de tout bois, et ceci dès son premier meurtre, juste histoire d’obtenir en échange la fameuse Green Card :
Certes, ce n’est guère au début que pour faire la plonge dans une gargote minable :
Mais c’est en même temps pour Brian de Palma l’occasion d’installer l’un de ses nombreux jalons symboliques, qui reviendra de façon récurrente tout au long du film : l’image fallacieuse du paradis artificiel, tellement signifiante aux yeux de l’auteur qu’on la retrouvera même bien plus tard, avec une portée identique, dans le sublimissime l’Impasse (1993) – qui sera en quelque sorte une sorte de Scarface II (avec dix ans de maîtrise technique en plus).
Premier test pour Tony Montana : faire ses preuves avec un gang de colombiens particulièrement retors, l’une des scènes mythiques du film (citée, entre autres, dans Tueurs Nés d’Oliver Stone, justement scénariste de ce même Scarface !), d’autant plus monstrueuse qu’on ne voit absolument rien, et que l’on imagine donc tout :
Premier test pour Tony Montana : faire ses preuves avec un gang de colombiens particulièrement retors, l’une des scènes mythiques du film (citée, entre autres, dans Tueurs Nés d’Oliver Stone, justement scénariste de ce même Scarface !), d’autant plus monstrueuse qu’on ne voit absolument rien, et que l’on imagine donc tout :
À noter dans les seconds rôles qui vont très mal finir : Paul Murray Abraham et Robert Loggia, un acteur que David Lynch prend souvent plaisir à mentionner - l'ayant expérimenté lui-même lors d’un casting houleux – pour, je le cite, "son immense capacité naturelle à se mettre en colère" !
Qu'est-ce qui va bien pouvoir déclencher chez Tony cette soif démesurée d'ambition et de pouvoir, sinon la plus humaine des convoitises, Elvira (la femme de son patron, la sculpturale et froide Michelle Pfeiffer) ?
Scène extrêmement troublante, elle aussi gorgée de symbolique, au sens où sortant de cet étrange ascenseur phallique qu'elle a l'air d'habiter de l'intérieur, Elvira se dévoile d'emblée pour ce qu'elle est : une sorte de Diane/Lilith castratrice, dont la bouche ne s'ouvre que pour déverser son venin sur tous les protagonistes masculins du film (qui, il faut bien le dire, le méritent généralement bien).
Éperdument amoureux dès le premier regard, Al Pacino n'aura dès lors de cesse de mettre tout en œuvre pour s'affranchir de cet ultime challenge, conquérir la nana du boss, même s'il lui faut pour cela se séparer de sa sublime voiture en vraie fausse peau de zèbre :
Éperdument amoureux dès le premier regard, Al Pacino n'aura dès lors de cesse de mettre tout en œuvre pour s'affranchir de cet ultime challenge, conquérir la nana du boss, même s'il lui faut pour cela se séparer de sa sublime voiture en vraie fausse peau de zèbre :
Bourré de défauts comme tout un chacun, Tony a tout de même quelque chose qui le sauve, quelque part : son amour des enfants - façon de parler, bien sûr, puisque c'est cet amour, et même, au-delà de l'amour, ce respect qui causera finalement sa perte :
Et voici le moment où tout le film bascule, environ à sa moitié, lorsque victime conjointement d'une tentative de chantage de la part des flics et d'une fusillade commandité par son boss, Tony Montana commence à péter les plombs pour de bon :
Grand nettoyage par le vide : une fois de plus, l'engrenage de la lutte pour le pouvoir absolu est en marche, et ne reculera désormais plus devant aucun scrupule ni aucun sacrifice :
Autre plan/raccourci totalement bluffant : ce moment magique où Tony vient, comme il dit, chercher son dû, une fois tous les prétendants éliminés, et qui dans sa froide violence figée, semble presque une citation consciente et assumée de La Belle et la Bête de Jean Cocteau (1946), la main du diable sur les draps immaculés de la belle :
Ponctué de cette apparition magique au petit matin, dont Tony fera bientôt sa devise (c'est curieux, ça me rappelle vaguement quelque chose, ça, une émission de télé, peut-être ?) :
Quoi qu'il en soit, chaque médaille a son revers. Quand le monde est à soi, on peut rapidement se retrouver à faire n'importe quoi... Et sans même en prendre conscience, Tony va bientôt très vite devenir esclave des deux aléas du pouvoir : la dépendance et la paranoïa :
Au moins jusqu'à sa fictive arrestation - très provisoire - par le FBI, à l'occasion d'un autre plan bluffant du film, "l'œil de Caïn" (la caméra est dans l'horloge, et les mains levées ne le sont encore qu'à titre de décontraction, alors que toute la suite des événements se trouve ainsi mise en abîme, presque comme dans ces tableaux qu'on appelait autrefois Vanités) :
D'où le chantage final avec ses amis des cartels colombiens : la liberté, oui, mais en échange d'un simple dynamitage de routine, que Tony se refusera à pratiquer (car au dernier moment, la cible s'entourera de façon tout à fait imprévue de sa femme et de ses deux filles), ce qui signera définitivement son arrêt de mort :
C'est le début d'une lente mais certaine descente aux enfers, où non content d'avoir éliminé tous ses rivaux, il lui faudra encore - de même que dans Richard III - se débarrasser de ses meilleurs amis, et même de sa propre sœur, de plus en plus sous l'emprise d'une dépendance qu'il ne contrôle plus du tout :
Le fameux point de non-retour, avec presque une citation textuelle de certaines des plus belles sculptures de Le Bernin :
Encore Richard III : le roi déchu rencontre sa Némésis, assassiné lâchement par une figure tutélaire sans visage, narguant l'orgueilleux symbole : "The world is yours" :
En résumé : un chef d'œuvre incomparable et sans une ride de la part du très virtuose Brian De Palma, qui confirmera encore ses qualités de technicien hors pair dans les fabuleux Blow Out (1981) et Carlitos's Way (1993), de nouveau avec Al Pacino. Ce faisant, il s'inscrit d'ailleurs parfaitement dans l'histoire du cinéma, puisque non content de se voir souvent désigné comme l'héritier légitime du grand Alfred Hitchcock, il signe en fait avec ce Scarface une reprise du film original de Howard Hawks (1932)...
Mais avant de reprendre le fil de mes disgressions sérieuses, marquons une petite pause avec la scène la plus désopilante du film, celle où Manny explique à Tony sa recette magique pour séduire les filles de Miami :
Mais avant de reprendre le fil de mes disgressions sérieuses, marquons une petite pause avec la scène la plus désopilante du film, celle où Manny explique à Tony sa recette magique pour séduire les filles de Miami :
Soyons de nouveau sérieux... Il y a bien sûr à ce film une infinité de morales possibles, mais pour ma part, j'en retiendrai trois principales. La première, bouddhiste, en quelque sorte :
La seconde, glaçante, mais tellement vraie :
Et la troisième, que je partage entièrement (peut-être bouddhiste, elle aussi, encore que ce soit assez proche du Carpe Diem des latins, si je puis dire) :
Réponse dans les jours à venir - à moins que ce ne soit déjà dans les commentaires !
Autres films du même réalisateur : Blow Out, Carlito's Way
Libellés : Biographie, De Palma, Drame, Thriller
5 Comments:
Perso moi j'préfère carrément "L'impasse" à "Scarface".
Ah ben c'est clair : dix années de maturité en plus non seulement pour De Palma, mais aussi pour Pacino, ça se sent, finalement (mais alors, l'âge, ça aurait du bon, quelque part ?)
Mais bon... De même que Beethoven n'a pas écrit la "Neuvième" tout de suite...
Bon, c'est encore. Je viens de laisser un commentaire sur un autre billet. Cette fois-ci c'est pour te féliciter des analyses/coups de coeur.
Salutations du Maroc et à très bientôt.
P.S: A corriger: dans la partie où tu écris "il signe en fait avec ce Scarface une reprise du film original de Howard Hawks (1932), ce même Howard Hawks qui servira de sujet central au fabuleux Aviator de Martin Scorcese (2005)" En fait, le personnage dont parle M. Scorsese dans The Aviator n'est pas Howard Hawks mais bien Howard Hughes, un aviateur et producteur cinématographique..
Désolé de la longueur du commentaire.
Mais non, au contraire, pas de quoi être désolé du tout... C'est juste moi qui me suis planté comme un gros nul, arf, arf (mais bon, ça arrive, des fois, lol) !!!
DSL !
Voilà… Je viens - un peu tardivement - de changer cette citation de Howard Hawks, enfin !
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