Pourquoi est-ce que je me décide à vous parler de Gus Van Sant, et particulièrement de ce film sorti en 1994, qui s'est avéré un gros échec de tous les côtés ? Peut-être parce que c'est l'une des ses œuvres les plus originales, disons-le, très éloignée de Gerry ou de Elephant, et qui y traite le thème très particulier de cette jeune fille contrainte à l'auto-stop, en vertu d'une maladie bien précoce :
Il s'agit bien sûr de Sissy Hankshaw (interprétée par Uma Thurman, pas encore très connue), qui se trouve dotée de pouces incroyablement très grands :
Ce qui fait d'elle la championne du monde de l'auto-stop, évidemment :
Meilleure preuve dans cette courte discussion avec l'un de ses premiers preneurs :
Ceci dit, elle va se trouver confrontée très vite à une proposition pour le moins étonnante :
Qui lui est délivrée par la Comtesse, un travesti complètement déjanté, et joué avec grand brio par John Hurt, déjà célèbre pour avoir interprété Alien de Ridley Scott bien des années auparavant :
Il en va du reste pareillement avec l'aquarelliste Julian Gitche (Keanu Reeves, qui lui aussi était déjà fort connu avec Point Break, et prenait des parures et des attitudes complètement différentes) :
Résultat assez prévisible : tout ceci va très vite foirer, et ne plus laisser à la Comtesse qu'une seule possibilité, basée sur ses propres biens :
Après tout, peu importe, n'est-ce pas ? Sissy Hankshaw se met donc en route vers le célèbre ranch de beauté, pour une fois pas en auto-stop, mais accompagnée par la très douteuse Miss Adrian (Angie Dickinson), une très bonne collègue de la Comtesse :
C'est donc pour Sissy Hankshaw l'occasion de découvrir non seulement le fameux ranch de beauté, mais aussi sa célèbre gardienne Bonanza Jellybean (Rain Phoenix), avec laquelle se tissent d'emblée des liens privilégiés :
Du reste, elles font bien, car peu de temps après, le ranch se retrouve sous tentative de récupération par la Comtesse et Miss Adrian, son alliée :
Résultat ? La guerre entre les deux partis est définitivement déclarée, et cela pousse Sissy Hankshaw à une assez grave dépression, qu'elle va tenter de sauver comme elle peut... Excusez-moi pour ces quatre images qui se suivent, mais il y a là un très juste travail de Gus Van Sant :
En fait, elle va passer la nuit chez the Chink (Pat Morita), un ancien immigré chinois qui vit au-dessus du ranch, et en a une vision bien plus dégagée que les autres :
C'est là que l'on constate qu'effectivement, le clan de la Comtesse est de plus en plus agaçant, voulant baser toute sa théorie sur ce qui arrive aux grues - entre autres :
Mais c'est un peu trop aux yeux de Sissy Hankshaw, qui ignore de plus en plus les propos incohérents de la Comtesse :
Qui ne vise en fait qu'une seule chose : débarrasser la terre de ces fameuses garces de Cowgirls, au simple profit des grues... Je le reconnais, c'est le moment où le film devient assez dur à supporter, se glissant dans des incohérences de plus en plus sensibles :
Fort heureusement, Gus Van Sant nous sauve juste à temps... De même que Sissy Hankshaw (Uma Thurman), qui va enfin chez le docteur afin de corriger la grandeur de ses pouces :
Ce que le toubib ne réussit à faire que sur un seul des deux doigts, ce qui rend en fait le parcours nettement plus difficile :
Meilleure preuve ici - où c'est à la fois très beau et original :
Malheureusement, aussitôt revenue au ranch, Sissy Hankshaw se retrouve dans la même situation qu'auparavant - encore dégradée grâce aux militaires, qui sont cette fois-ci bien prêts à tirer sur les cowgirls, sous la demande de la Comtesse :
Et comme le dit fort bien Bonanza Jellybean, elle a une toute autre idée en tête :
Qu'elle s'empresse d'ailleurs de réaliser, avec l'accord tacite de Sissy Hankshaw :
Dès le lendemain, hélas, Bonanza Jellybean se fait abattre par les militaires :
Qui ne sont du reste pas prêts à s'arrêter :
C'est sans doute l'un des passages les plus tristes du film... Où l'on voit également la future tombe de Bonanza Jellybean en train de se construire :
Et où se l'on se trouve confronté avec la dernière phrase, hautement symbolique, de Sissy Hankshaw, désormais seule à côté de l'unique homme civilisé de la région, the Chink :
Comme vous l'avez peut-être deviné, cet Opus est par moment excellent, très bien réalisé, avec des personnages et des situations pour le moins inhabituelles... Mais d'un autre point de vue, cette façon de narrer est plus ou moins comparable à celle des gens de l'époque, qui reste figée sur des principes basiques afin de juger les homosexuels ou les lesbiennes.
Ce qui apparaît plutôt consternant lorsque l'on voit, d'un côté, le pessimisme ravageur qui opposent Uma Thurman, Rain Phoenix et John Hurt, incapables de sortir du rôle qui leur est dès le début attribué, et de l'autre, le film sur le même sujet, génialement réalisé par Spike Jonze cinq ans plus tard, Being John Malkovich...
Certes, ça n'est que mon point de vue sur ces deux œuvres, très proches l'une de l'autre par les thèmes qu'elles abordent, mais en même temps très éloignées dans la façon de le faire, presque vulgaire par moment dans ce film de Gus Van Sant, alors qu'elle se révèle d'une grande classe (et en plus, nettement plus drôle) dans celui de Spike Jonze - dont c'était pourtant le tout premier opus dans le domaine du cinéma, avec (entre autres) John Cusack, Cameron Diaz, et bien sûr John Malkovich...
Que vous dire de plus ? J'espère, en tous cas, que vous m'en ferez part sur votre éventuel commentaire !
Un film très étrange, n'est-ce pas ? Dû à Gus Van Sant en 2002, juste une année avant son grand succès de Elephant à Cannes, Gerry passe avant tout pour un film minimaliste, et c'est la moindre des choses que l'on puisse en dire. Gerry commence en effet sur son plan tout à fait normal, basé sur la présence en voiture des deux acteurs principaux :
Je vous offre un petit trailer :
Mais ce film se barre très vite vers une coalition forcée, inattendue et délirante :
Où chacun des deux acteurs (Casey Affleck et Matt Damon) ne semble plus être que la copie de l'autre :
Répétant en toute occasion plus ou moins la même phrase chacun à leur tour, ce qui peut sembler peu à peu normal, car il s'avère qu'ils se prénomment tous les deux Gerry :
Phénomène à noter : seul un des deux parvient au sommet, et en l'occurence, il s'agit bel et bien de Matt Damon :
Ou alors, serait-ce l'autre ? On n'en sait rien, en fait... Mais chose que je ne savais pas non plus, "gerry" signifie "pourri", "raté", "insalubre" en anglais, raison de plus pour se débarrasser l'un de l'autre, ou alors, plus exactement, de vider son propre corps de la mauvaise partie :
Ai-je tort ?
Quoi qu'il en soit, on en arrive ainsi au milieu du film, où ce plan dure pour le moins cinq minutes, au bas mot, où le simple fait de voir leurs deux têtes filmées en même temps viserait à les laisser apparaître comme venant de la même personne, le fragile Casey Affleck et le très robuste Matt Damon n'étant en réalité qu'un :
En résumé, il s'agit d'un film très lent où l'on croit voir deux personnages, et où en réalité il n'en existe qu'un, ce qui se sent de plus en plus au fur et à mesure que l'on se rapproche de la fin :
Meilleure preuve avec ce fameux mirage, qui rajoute à la grande surprise une troisième personne - sauf que cet être existe déjà, Matt Damon, en l'occurrence :
Très dur, n'est-ce pas ?
Il faut cela, parfois, en montagne... S'endormir sous un certain angle, et se réveiller sous un autre :
Ici, se trouvent des phrases que l'on n'aurait pas forcément envie d'entendre, mais aussi des images carrément sublimes :
En résumé, il s'agit de la fin du film - due, bien sûr, à Matt Damon :
Voulez-vous en voir les dernières images ? Comme très souvent, elles coïncident très vivement avec les toutes premières, mais c'est ici même l'occasion de s'apercevoir - si toutefois l'on est d'accord - de l'étonnant changement de tête de Matt Damon, à mon sens totalement évident :
Que dire d'autre, sur ce film ? Déjà, le fait que Casey Affleck et Matt Damon se soient trouvé utilisés pour la rédaction du scénario, ce qui arrive plutôt rarement, et est à mon sens très bon signe. D'autre part, sa réalisation à la fois en Argentine et en Californie s'est assez mal passée dans le premier pays, trop froid, ce qui fait que seul le début du film se base sur ces montagnes plutôt assez verte, pour se terminer dans le désert bien connu, et il faut bien le dire, relativement sublime à voir. Enfin, chose plus étonnante, l'essentiel de ces images se trouvent accompagnées par Für Alina et Spiegel im Spiegel de Arvo Pärt, un compositeur dont je ne raffole pas trop, normalement, mais qui m'a beaucoup touché dans ce film. C'est d'ailleurs là l'occasion de dire ce que je pense du film, ou plutôt ce que j'en ai pensé. Pour être honnête, la toute première fois que je l'ai vu, je l'ai véritablement détesté, de même, d'ailleurs, que je déteste la musique soi-disant contemporaine de Arvo Pärt. Mais la seconde fois, et pour tout dire, la troisième et la quatrième, je l'ai véritablement adoré - pas vraiment de la façon dont l'on tombe fan du cinéma, mais plutôt de la manière d'on l'on devient amoureux de la haute montagne. Et il faut bien savoir que celle-là, je l'adore depuis que j'ai quatorze ans, et qu'elle ne m'a pratiquement jamais déçu, au cours de ces longues années où je l'ai fréquenté...