Vous savez ce que décrit ce tableau de 1563, dû à Pieter Brueghel l'Ancien, peintre des Pays-Bas (1525-1569) ?
Bien sûr, il représente la Tour de Babel... Mais Alejandro González Iñárritu, un immense réalisateur mexicain, a préféré laisser ce seul mot final au titre de ce film sorti en 2006, afin peut-être de ne pas en dévoiler d'emblée tout le contenu sensible.
De quoi parle donc cet Opus ? Je vous le dirais plus précisément à la fin de cet article, mais toujours est-il que l'action et les personnages se dévoilent dans quatre pays très différents, ne serait-ce qu'à titre de civilisation ou de langue : le Maroc, le Mexique, les Etats-Unis et le Japon. Et nous commençons avec les deux gamins de toute une famille marocaine, le plus jeune étant très nettement plus doué que son frère aîné concernant son usage du fusil - ce qui, au passage, reste interdit par leur père :
Ils essayent tous les deux d'atteindre un véhicule, mais d'après ce que l'on voit d'aussi haut, il ne se passe absolument rien - ce qui les fait même douter de la qualité de l'arme :
Très rapidement, on se rend alors aux Etats-Unis, mais en compagnie d'une mexicaine bien connue, Amelia (Adriana Barraza), qui doit sans plus tarder trouver le moyen de se rendre au Mexique, où son fils est censé se marier :
Heureusement, elle trouve finalement quelqu'un d'assez enthousiaste, Santiago (Gael Garcia Bernal), qui se charge sans problème des deux enfants dont Amelia était censée s'occuper :
Si l'on cherche qui sont ces enfants, la réponse nous est bien vite donnée : ce sont le fils et la fille de ce couple d'américains en visite au Maroc, Richard Jones d'un côté (Brad Pitt) :
Et sa femme Susan Jones de l'autre (Cate Blanchett), qui a vaguement l'air de lui en vouloir un tout petit peu, l'on ne sait pas vraiment pour quelle raison :
Mais au fond, peu importe... Car quelques instants plus tard, cette femme se révèle soudainement touchée par une balle volontairement tirée, et personne (à part nous) ne devine encore le rapport avec les jeunes marocains au début du film :
Vous pourrez bien mieux vous en apercevoir ici, au cours d'une vidéo de 4', où on les voit tout d'abord tenter sans succès de s'expliquer, avant qu'elle ne tombe sous le puissant coup de fusil :
Nous sommes ainsi passés par trois des quatre pays concernés, le premier étant à sa place, le second (le Mexique) encore au cœur de l'Amérique, et le troisième(les Etats-Unis) de nouveau au centre du tout premier, le Maroc...
C'est donc avec une grande logique qu'Iñárritu nous emmène dans le dernier pays concerné, le Japon, là encore se passant strictement sur place, avec Chieko (Rinko Kikuchi) - même si cette logique est très difficile à suivre, la première fois que l'on voit ce film :
Sans même parler du fait que Chieko est handicapé par une surdité flagrante, qui l'entoure d'amies souffrant de la même maladie - et encore, je fais exception ici de sa virginité, qui semble également bien la perturber :
Ainsi se termine, si l'on peut dire, la première partie du film, celle qui nous a décrit tous les pays, tous les gens, toutes les civilisations... Aussitôt démarre la seconde section, où presque tout le monde se retrouve coincé dans une situation quelque peu inattendue, à commencer par le père de la famille marocaine, qui ignore encore à quoi ses deux enfant ont joué :
Pour les enfants de Richard et Susan Jones, désormais au Mexique, il n'en va bien sûr pas de même, mais les deux sont néanmoins décontenancés par l'égorgement d'un poulet - chose apparemment très courante dans le pays, surtout lors d'un mariage :
Retournons donc maintenant au Maroc, vu au travers des yeux américains... Et évidemment, Richard Jones a l'air complètement perdu dans la façon de soigner sa femme, tiraillé entre de multiples possibilités :
Et Susan a l'air de décider encore du traitement par elle-même, alors qu'elle est en réalité de plus en plus mal, se bornant à critiquer ce dont elle n'a pas envie :
Quant à la dernière partie de cette seconde section, elle se repasse une fois de plus au Japon, où Chieko profite de son rendez-vous obligatoire chez un dentiste pour le draguer ouvertement - ce qu'il prend assez mal, compte tenu de leur différence d'âge :
Et pour ne rien arranger, c'est deux policiers qui l'attendent à l'entrée de son immeuble, et tentent de lui parler - très lentement, il va sans dire - de faits qui seraient directement liés à son père :
Où en sommes-nous donc, à la fin de cette partie ? A quelque chose qui pourrait prendre pour tout le monde une dimension assez dramatique, mais qui finalement semble s'arranger plutôt bien dans les quatre pays concernés - division à laquelle Iñárritu s'est déjà longuement expérimenté dans son précédent film, Amours chiennes...
De fait, tout a l'air de se passer très bien dans l'ouverture de la troisième session, y compris au Maroc, où le chef de la police se borne pour l'heure à poser de simples questions :
Certes, les deux gamins mentent tous les deux à leur père, qui sait néanmoins qui est le véritable coupable de cet acte insensé... Mais l'essentiel, c'est de rester à l'écart des policiers :
Au Mexique, en revanche, tout semble se passer à merveille... Déjà parce que l'orchestre typique y met d'emblée une bonne ambiance :
Et surtout, car le couple d'enfants de Richard et Susan Jones a l'air de bien s'épanouir, sans même parler du visage presque divin de leur accompagnatrice Amelia - qui assiste avec le plus grand plaisir au mariage de son fils :
Ibidem au Japon, où Chieko et nombre de ses amies rencontrent enfin des garçons plutôt sympas, n'hésitant pas à parler très lentement, voire même à dessiner quelque chose pour bien se faire comprendre... Ce qui encourage tout le monde à se rendre d'abord dans un centre public très relaxant :
Puis ensuite dans une énorme boîte de nuit, où le visage de Chieko devient d'un seul coup bien plus agréable qu'il ne l'était auparavant :
Là encore, c'est tout le génie d'Iñárritu que je vous laisse découvrir dans cette scène d'environ 6 minutes, où on retrouve ce réalisateur jouant parfaitement avec la lumière particulière de cet endroit, de même qu'avec l'aspect sonore qu'en éprouve une jeune fille atteinte de surdité :
Mais nous voici hélas bientôt dans la quatrième partie du film, où tout se dégrade à une vitesse incroyable, à commencer par le Maroc... Même quand le père de famille essaye d'expliquer à la police l'origine de cette arme, en réalité le don quelques années plus tôt d'un touriste japonais, le père de Chieko :
Même si nous savons désormais le rapport qu'il y avait entre ces deux pays aussi différents, cela n'arrange pas du tout la relation sur place, qui se dégrade de plus en plus :
Il en va de même au Mexique, au moment de la frontière avec les Etats-Unis, où les policiers, tout d'abord plutôt gentils au début, exigent subitement de plus en plus de choses de la part d'Amelia :
Fait qui déclenche immédiatement une colère subite de Santiago, qui force le barrage à l'aide de sa voiture lancée à toute allure, et entraîne bien malgré eux Amelia et les deux enfants :
Côté américain, autrement dit, du point de vue de Richard Jones au Maroc, cela a en revanche l'air de bien se terminer, puisque sa femme va nettement mieux, et que l'hélicoptère ne va pas tarder à arriver :
On serait bien sûr tenté de penser la même chose du Japon, où l'un des deux policiers, en contact avec Chieko, lui apprend enfin le rapport entre son père, l'arme, et le Maroc - dont on n'arrête pas de parler au journal TV :
Mais l'on situe encore très mal les problèmes de Chieko, qui n'ont pour origine que sa virginité et son amour assez passionnel envers cet homme :
Et contrairement à ce qu'on pense, ce film ne va pas forcément bien se terminer... Déjà au Maroc, où le gamin se dénonce lui-même, de peur de voir toute sa famille touchée par l'implication des policiers :
Puis vient un endroit que l'on ne connaît pas bien, quelque part entre les Etats-Unis et le Mexique... Et là se révèle l'implication d'Amelia, qui se retrouve abandonnée avec les deux enfants dans un endroit désertique, où règne une chaleur épouvantable :
Vous en aurez une plus grande conviction ici, bien sûr :
Toujours est-il qu'elle sera finalement retrouvée par un policier, et qu'elle comptera grandement sur lui pour retrouver les deux enfants de Richard et Susan :
Mais peu importe... Elle sera finalement expatriée, après bien des années passées à s'occuper respectueusement des petits :
Finalement, il n'y a qu'au Maroc où tout se passe bien, avec les deux américains enfin à bord de leur hélicoptère mythique :
Quant au Japon, nous assistons à l'ultime confrontation entre le policier et le père de Chieko - qui admet volontiers avoir offert l'arme au marocain, en guise de remerciement, mais ne souhaite plus en entendre jamais parler :
Et le film se termine avec deux plans sublimes, où Iñárritu nous offre le père de Chieko, le policier un peu perdu dans un bar, et la jeune fille elle aussi très sensible, avec un long travelling arrière sur Tôkyô :
Le tout sans aucune parole, juste accompagné par la musique saisissante de Gustavo Santaolalla, qui comme à son habitude apporte sa signature à tous ses films :
Bref, je trouve cela génial, tout simplement... Maintenant, comme promis, je vais vous parler du mythe de la tour de Babel (dont Iñárritu n'a gardé que le dernier mot afin de donner un titre moins explicite), qui fut très exploité par les peintres des Pays-Bas au cours du seizième siècle - comme le prouve ce tableau de Tobias Verhaecht (1561-1631) :
Il s'agit en fait d'un épisode peu après le Déluge, alors que tout le monde sur la planète parle encore la même langue, et qu'ils décident de construire une tour vers le ciel, afin de se faire un nom. Suite à quoi Dieu décide de brouiller leur langue, de sorte qu'ils ne puissent se comprendre les uns les autres - épisode que vous pourrez bien sûr mieux suivre sur Wikipédia... C'est représenté très concrètement dans une version de Hans Bol (1534-1593), beaucoup plus dramatique et violent que le précédent :
Le problème, c'est que pas grand-chose n'a changé depuis plus de deux mille ans : 7000 langues, 141 langues officielles, un nombre de pays se portant à 193, bref, rien ne s'arrange... Comme le montre d'ailleurs cette œuvre numérique d'Yves Desvaux Veeska, qui date à peine de quelques années :
En résumé, ce film nous montre bien les conséquences imparables, d'actes au début tous plutôt sympathiques : au départ, le don du fusil par le père de Chieko à un guide marocain, suivi quelques années plus tard par l'utilisation de ladite arme par l'un des fils de cette famille... Ce qui se traduit aussitôt par un tir violent touchant Susan Jones, affectant son mari Richard, et perturbant Ameli dans le mariage de son fils au Mexique, pendant que la fille du donneur d'origine se trouve perturbée dans nombre de choses, le tout au Japon - pays le plus loin possible du Maroc, pour beaucoup de raisons !
Je pourrais certes vous en dire encore plus, mais je pense que j'en ai déjà livré assez, n'est-ce pas ? En tous cas, si vous n'avez pas encore vu ce film, je vous le recommande très vivement (il a tout de même remporté 43 récompenses dans des festivals du monde entier)... Jouissez-en bien confortablement, et laissez à l'occasion un commentaire - si toutefois vous parlez la même langue que moi !
Ah, au moins pour une fois, on est totalement d'accord sur ce point-là : c'est un chef-d'œuvre, ni plus ni moins... Sans parler de ses films précédents, cela va de soi !
Hou là, c'est loi, Babel... Un des tout premiers films chroniques par Dasola quelques jours après la création de son blog (janvier 2007), un des tout premiers commentaires que je lui avais fait sur son blog (on ne se connaissait pas depuis bien longtemps quand on l'avait vu ensemble...). Je ne me souvenais pas d'autant de complexité que ce que vous exposez dans votre article! (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
OK, j'ai vu ça, c'est vrai que c'était plutôt court, comme commentaire... Mais bon, vous en étiez tout au début, en 2007, donc rien de plus normal, en quelque sorte ! Sinon, il est vrai que le film est assez complexe : en général, on n'en retire pas toutes les choses qu'il faut au bout d'une seule vue, loin de là...
Ton article est très clair, je me suis bien tout remémoré, et même la musique, sans regarder les extraits vidéos. Je l’ai revu avec plaisir à la télé depuis 2006. L’errance dans le désert mexicain est bien stressante et les passages au Japon bien dépaysants. C'est une belle réflexion sur l’altérité (le pays ou la langue de l’autre, la classe sociale de l’autre, le handicap de l’autre, l’âge de l'autre, etc)
Merci de ton appréciation, de la clarté de l'article - je me suis donné pas mal de temps pour le faire ! Si tu n'as pas beaucoup de temps pour bien voir les vidéos, ne regarde que la seconde, celle basée sur la japonaise dans sa boîte de nuit, c'est hallucinant, au niveau des trucages et de la représentation de sa surdité... Sinon, tu as bien raison : c'est une profonde réflexion (à voir au moins deux fois) sur toute l'altérité, d'où LA TOUR DE BABEL, bien sûr !
6 Comments:
trés bon film et bravo pour cet article ,,, de Sofia , bise
Ah, au moins pour une fois, on est totalement d'accord sur ce point-là : c'est un chef-d'œuvre, ni plus ni moins... Sans parler de ses films précédents, cela va de soi !
Hou là, c'est loi, Babel...
Un des tout premiers films chroniques par Dasola quelques jours après la création de son blog (janvier 2007), un des tout premiers commentaires que je lui avais fait sur son blog (on ne se connaissait pas depuis bien longtemps quand on l'avait vu ensemble...).
Je ne me souvenais pas d'autant de complexité que ce que vous exposez dans votre article!
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
OK, j'ai vu ça, c'est vrai que c'était plutôt court, comme commentaire... Mais bon, vous en étiez tout au début, en 2007, donc rien de plus normal, en quelque sorte ! Sinon, il est vrai que le film est assez complexe : en général, on n'en retire pas toutes les choses qu'il faut au bout d'une seule vue, loin de là...
Ton article est très clair, je me suis bien tout remémoré, et même la musique, sans regarder les extraits vidéos. Je l’ai revu avec plaisir à la télé depuis 2006. L’errance dans le désert mexicain est bien stressante et les passages au Japon bien dépaysants. C'est une belle réflexion sur l’altérité (le pays ou la langue de l’autre, la classe sociale de l’autre, le handicap de l’autre, l’âge de l'autre, etc)
Merci de ton appréciation, de la clarté de l'article - je me suis donné pas mal de temps pour le faire ! Si tu n'as pas beaucoup de temps pour bien voir les vidéos, ne regarde que la seconde, celle basée sur la japonaise dans sa boîte de nuit, c'est hallucinant, au niveau des trucages et de la représentation de sa surdité... Sinon, tu as bien raison : c'est une profonde réflexion (à voir au moins deux fois) sur toute l'altérité, d'où LA TOUR DE BABEL, bien sûr !
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