Vous voulez savoir pourquoi je décide de parler d'un film de 1995, au second degré très ironique, d'une certaine façon ? Tout simplement parce que j'en ai eu un tout petit peu marre de fouiller ma bibliothèque DVD, afin d'en ressortir dans l'indifférence générale trois Opus très puissants (Amores perros, 21 grammes et Babel), un véritable chef-d'œuvre absolu (Silence), ou encore - plutôt rare - un excellent film d'horreur (The Ring)...
Alors cette fois-ci, je me suis juste mis devant la rediffusion sur FR3 de Desperado, en espérant que cette seconde création de Robert Rodriguez me fera gentiment participer à une bonne soirée, avec rire, dérision, et évidemment sentiments :
Connaissez-vous Robert Rodriguez ? C'est un réalisateur texan, presque mexicain comme Alejandro Iñarritu, et qui bien avant le succès planétaire de Sin City ou de Planet Terror, s'est déjà bien imposé grâce à son premier film El Mariachi (1992), dont il envisage donc la suite avec Desperado, et une musique et des acteurs bien plus connus du grand public.
Meilleure preuve avec Buscemi (Steve Buscemi), auquel l'auteur a donné le même nom que dans la vie réelle, tellement il pensait à lui dès l'écriture du scénario... C'est ainsi lui qui démarre le film, en racontant mine de rien face au patron indifférent l'histoire de El Mariachi, propos qui semblent l'ennuyer, jusqu'à ce que Buscemi cite le nom de son principal ennemi, Bucho :
L'on découvre alors El Mariachi en personne, le fameux Antonio Banderas - qui joue de la guitare et chante lui-même, notamment le premier titre du film, Cancion Del Mariachi :
Vous pouvez le voir et l'entendre, c'est sacrément bien interprété :
Mais ceci n'est que le début, qui se passe dans une autre ville... Lorsqu'il a fini de chanter, il se dirige comme il peut vers Ciudad Acuña, plus grande, et surtout bien équipé dans son étui de guitare - qui outre le fameux instrument, renferme un grand nombre d'armes :
C'est pour Robert Rodriguez l'occasion de mettre en scène un vague client du bar - qui hormis la vanne qu'il balance vite fait, se révèle en fait être Quentin Tarantino, un autre cinéaste très complice et ami de notre réalisateur, avec lequel il a d'ailleurs tourné plus tard le double programme Grindhouse, comportant Planet Terror et Death Proof :
L'on découvre au passage un peu mieux ce qui est renfermé dans l'étui de la guitare, relativement impressionnant :
Juste avant de voir El Mariachi manquant tout juste de se faire tuer, secouru en dernière minute par Carolina (Salma Hayek, qui fut rendue très connue par ce film, et quelques années plus tard grâce au superbe Frida de Julie Taymor) :
Dès lors transformée en chirurgienne inattendue, elle ne se fixe pour tâche que de traiter au mieux El Mariachi, dont elle tombe bien vite amoureuse - ceci étant évidemment partagé de l'autre côté :
On croise Buscemi une dernière fois, où après un bref entrevue avec El Mariachi dans l'église Sainte-Cécile, il laisse finalement ce dernier se débrouiller tout seul :
Ce qui certes ne se révèle pas du tout facile, lorsque l'on découvre enfin son adversaire fétiche Bucho (Joaquim de Almeida), et tous les moyens et les puissances dont il dispose :
Surtout qu'il tente déjà de l'assassiner via Navajas (Danny Trejo), une attaque au couteau très impressionnante - dont je n'ai malheureusement trouvé aucune trace en vidéo, désolé :
Mais El Mariachi va encore s'en tirer, et c'est là l'occasion de combiner les trois facettes de ce film : le chant, l'amour, et enfin la destruction de tout ce beau monde... On va débuter avec la belle voix de Carolina, qu'elle sort finalement sans guitare :
Pour poursuivre aussitôt après par une vaste attaque combinée par Bucho, et là, ils vont utiliser tous les moyens pour y mettre fin :
Il faut dire que la philosophie de cette longue scène est à proprement parler typique de ce film, qui jouit maintenant d'un fond de 7 millions de dollars - autrement dit, rien à voir avec le précédent El Mariachi, dont le budget était seulement de 7000 dollars (incroyable en 1992, mais vrai !) :
Robert Rodriguez a ainsi l'occasion d'en sortir pas mal d'humour, de scènes impossibles, d'extravagantes sautes d'humeur et de surréalistes conclusions - tel l'incendie de la librairie que tenait Carolina, qui va désormais contraindre El mariachi à en recourir à ses options cachées :
Pour une fois, j'en ai trouvé une très belle vidéo, que je vous conseille vivement :
Mais El Mariachi n'est pas du tout prêt à se laisser aller, et il convoque à la dernière minute ses deux amis guitaristes comme lui, Campa et Quino - lesquels disposent de deux étuis encore pires que le sien, pouvant à tout instant se transformer en lance-grenade ou en tireur de missile :
Là encore, il s'agit d'une scène assez longue, mais particulièrement bien filmée - quel que soit le surréalisme et l'impossibilité du genre :
Toujours est-il que El Mariachi parvient finalement à son but, réussir à coincer Bucho, parmi tous ses gens... A cette occasion, Bucho tente donc une dernière possibilité, celle de redevenir celui qu'il a toujours été, César - autrement dit, le frère de El Mariachi lui-même :
Hélas - ou tant mieux, pour ceux qui ont déjà vu El Mariachi -, Antonio Banderas ne voit qu'une seule solution : lui tirer dessus, et pas qu'une seule fois ! Désormais résolu à quitter la ville, il marche un petit peu sur la route... Juste avant que Carolina lui propose, sans grande surprise, de monter dans sa voiture, pour aller où bon leur semble :
Alors, que dire de tout cela ? Et surtout, où s'inscrit-il dans la vaste trilogie qui retrace la destinée du musicien dans ce vaste pays (à savoir, El Mariachi (1992), Desperado (1995), et Il était une fois au Mexique... Desperado 2 (2003) ?
Pour être honnête, je trouve que c'est le meilleur des trois films, pour la bonne raison qu'il sait instantanément s'installer dans la bonne limite entre logique et absurdité, rationalisme et surréalisme, pieds sur terre et grand délire - d'où le résultat obtenu, digne de Last Action Hero de John McTiernan, de Groundhog Day de Harold Ramis, ou encore de La Cité de la peur de Alain Berbérian, tous sortis au maximum deux ans auparavant...
Il y a beaucoup de choses dont nous devons pardonner le tout premier El Mariachi - ne serait-ce que son minuscule budget de 7000 dollars, ce qui obligea son auteur à utiliser des acteurs quasiment inconnus, à se passer du sens de l'humour, et à recourir à des processus délicats de la part des caméramans... Mais ça reste tout de même un bon film, le tout premier de son réalisateur.
Par contre, il en va tout autrement avec Il était une fois au Mexique... Desperado 2, qui malgré son budget hallucinant de 29 millions de dollars, et la conservation d'Antonio Banderas et de Salma Hayek, s'est perdu dans une logique et une exagération impossibles à digérer, de même que dans le choix d'acteurs qui visiblement ne se sont pas beaucoup amusés, Johnny Depp, Mickey Rourke et Eva Mendes... Je n'ai pas du tout aimé ce film (surtout comparé à Desperado), et je crois que comme moi, vous préférerez prendre le meilleur que le pire dans l'œuvre de Robert Rodriguez, qui a heureusement beaucoup de choses à nous offrir !
Tourné en l'an 2000, ce film fut le premier de la désormais célèbre trilogie d'Alejandro Gonzalez Iñarritu (qui comprend également 21 grammes et Babel), dont il a dit ceci : "Je ne suis qu'une petite partie des vingt millions de personnes qui habitent dans la ville la plus grande et la plus peuplée du monde, Mexico. Aucun être humain n'avait vécu auparavant dans une ville qui présente des niveaux pareils de pollution, de violence et de corruption, et pourtant, à sa façon invraisemblable et paradoxale, c'est aussi une ville belle et fascinante, et c'est précisément cela qu'Amours chiennes représente".
Meilleure preuve au tout début de l'Opus, avec l'accident qui marquera définitivement la vie des trois couples (ou personnes) représentés, qui détiennent tous un ou plusieurs chiens :
01) Octavio et Susana : Je commence avec l'allegro le plus marquant de ce film, où l'on voit Ramiro (Marco Pérez) investir de l'argent dans une lutte à mort de différents chiens, dont il ne va pas se sortir très bien :
On découvre également un bref instant El Chivo (Emilio Echevarria), qui n'apparaît pour l'heure que comme un célibataire fauché, peu soigneux et traînant d'un bout à l'autre de la ville son chariot de supermarché :
Vient ensuite le personnage d'Octavio (Gael Garcia Bernal, un excellent acteur mexicain, qui jouait ici son tout premier rôle), le frère de Ramiro, dont il ne partage pas du tout les idées et la façon de vivre :
Hélas, Ramiro n'en a absolument rien à foutre, et ne trouve qu'à lui proposer deux options, évidemment toutes identiques, "le payer, ou bien le payer" :
Durant tout ce temps, on voit très brièvement El Chivo, le personnage de la troisième partie, tirer rapidement sur quelqu'un, probablement le mari de son ex-femme - mais cela n'est jamais vraiment dit :
De la même façon, on aperçoit sur une affiche la belle Valeria de la deuxième section :
Ainsi que la femme de Daniel - qui jouera un rôle très important dans cette seconde partie -, avec lui-même tout au fond de la pièce (Alvaro Guerrero), se doutant que le coup de fil venait de sa maîtresse cachée Valéria :
Mais revenons à la première section, qui est assez nettement la plus violente du film... Octavio, après s'en être pris au chien de Ramiro, un frère dont il ne tolère pas la brutalité et l'inconscience, se tourne désormais vers la femme de celui-ci, Susana (Vanessa Bauche), qu'il admire secrètement, et dont il est consterné d'apprendre la seconde grossesse :
Susana lui dit alors ce qu'elle pense vraiment de son mari Ramiro - du moins, c'est l'impression qu'on en a -, ce qui va pousser Octavio à lui révéler de plus en plus son amour, et son rêve bien caché d'abandonner tout cela, et de partir très loin :
Ont-ils raison ? C'est du moins ce que l'on pense au cours du plan suivant, où Ramiro se prépare à braquer une banque en toute innocence, ce qu'il va dans un premier temps réussir :
Dans le même temps, Octavio ne pense qu'à une seule chose, en présence de son ami... Comment trouver - légalement - de l'argent, afin de partir loin comme il l'a prévu avec Susana ?
Mais il finit par trouver le moyen qu'il attendait : placer son propre chien au centre d'une bataille, appuyé en cela par le grand patron de cette boîte... Qui certes ne lui offre que huit ou seize opérations, mais se montre bien réglo, et appuie bel et bien Octavio, surtout comparé à Ramiro, dont il déteste le comportement :
La première partie se termine avec El Chivo, qui assiste discrètement à l'enterrement du mari de son ancienne épouse, une femme qui non seulement s'indigne de le rencontrer, mais souhaite surtout l'empêcher de retrouver la fille qu'elle lui a donnée, et qu'il n'a pas revu depuis bien des années :
02) Daniel et Valeria : Après l'allegro, il est normal que se place l'adagio, afin de reposer tout le monde. A commencer par Valeria (Goya Toledo), une top-model très en vogue pour la marque Enchant, et qui ne se gêne pas du tout pour annoncer son amour - sans toutefois livrer son nom à l'écran :
Mais nous le connaissons déjà, le fameux Daniel (Alvaro Guerrero), qui en outre quitte définitivement sa propre femme et ses deux filles, pour offrir à Valeria la maison qu'elle mérite :
Un autre point qui marque le passage de l'allegro à l'adagio, c'est la réduction des nombreux chiens de la première partie à un seul caniche blanc, auquel Valeria tient beaucoup, et qu'elle compte bien sortir au moins une fois par jour... Ce qu'elle n'hésite pas à faire en prenant sa voiture, s'exposant hélas à cet accident vu depuis le début du film, et qui en est en quelque sorte le point central :
Résultat ? Elle se retrouve complètement fracassée, condamnée à la chaise roulante, voire même à d'autres problèmes, que le médecin n'évoque qu'entre parenthèses :
La seule chose qui la fait réellement souffrir, en fait, c'est la subite disparition de son petit caniche dans le sol de son nouvel appartement - ce que Daniel ne prend tout d'abord pas vraiment au sérieux :
Mais il va bien être obligé de s'y intéresser plus que de coutume, surtout lorsque l'animal reste tapi là durant plusieurs jours, obligeant à s'interroger sur ce qui lui arrive vraiment, si par exemple ce n'est pas dû à la présence de milliers de rats :
Ainsi, ceci qui a commencé comme une belle histoire d'amour, avouée à la télévision et rendu concrète par l'offre du superbe appartement, va progressivement se dégrader en bataille de haine, livrée dans des conditions à peine supportables, et de plus en plus souvent :
03) El Chivo ("le cabri") : Après l'adagio, il est normal de s'attendre à un dernier allegro, bien que celui-ci ne soit pas du tout sur le même ton qu'au début... Il se déroule beaucoup plus intimement, et met tout d'abord en place un ami de El Chivo - qui fut autrefois son ennemi, du temps où celui-ci était encore guerillero communiste et tueur à gages -, et Gustavo, un homme qui en veut beaucoup à son beau-frère, pour détournement d'argent :
El Chivo se présente donc sous un jour désormais passe-partout, et il s'empresse de refaire l'album de photos de sa fille dès que celle-ci n'est pas dans sa maison, en réintégrant sa propre photo à la place de celle du prétendu père, dont il a récemment assisté à l'enterrement :
Mais il n'empêche : on assiste, pour la troisième fois, au déplorable accident de voiture, qui provoqua non seulement l'amputation de Valeria, mais marque aussi Octavio sur son propre crâne... Ce qui va en outre lui apprendre la terrible nouvelle, que Susana est bel et bien partie très loin, mais avec son mari Ramiro, et en plus en emportant tout l'argent qu'il avait soigneusement mis de côté :
Bref, que du négatif, en quelque sorte... D'autant que El Chivo fait à son ami la promesse que tout sera réglé demain, et qu'il n'y a donc aucune raison de s'inquiéter :
La seule chose qui le tourmente, en fait, c'est le comportement du seul chien vivant qu'il a pu récupérer de l'accident, et qui est pour le moins inquiétant, vis-à-vis des autres chiens dont il dispose déjà... Hormis cela, il ne sait trop que faire, concernant les deux demi-frères qu'il a fini par arrêter, et finalement, il va se borner à laisser face à face Luis (Jorge Salinas) et Gustavo (Rodrigo Murray) :
En résumé, voici ce dont il s'agit :
Finalement, il ne s'intéresse pas beaucoup à cette histoire, hormis l'argent qu'elle lui rapporte, et il va laisser aux deux hommes le soin de tout régler, grâce à une arme laissée sur le sol entre eux :
Pour notre part, nous ne saurons jamais lequel des deux finira par triompher... Mais El Chivo s'en fout, et ne cherche qu'une seule chose à faire, s'entretenir avec sa propre fille, qu'il n'a pas vue depuis une éternité. Il ne réussit pas encore à la rencontrer, mais au moins, il parle avec elle, et de faits qu'il estime important de lui dire :
L'œuvre se termine avec une dernière vue sur lui, de dos, marchant au soleil couchant, et semblant pour une fois positif... Alors qu'on ne sait rien sur ce qui est arrivé à Luis et Gustavo, ce qu'il en résulte pour Daniel et Valeria, et à peine plus sur Octavio, que l'on sait toujours en vie, mais complètement désespéré du fait que Susana soit partie avec son frère Ramiro.
Je ne sais pas ce que vous pensez de ce film, mais pour ma part, je l'ai beaucoup aimé... Non seulement parce qu'il s'agit du tout premier de la fameuse trilogie (21 grammes et Babel), mais surtout car le traitement de son contenu en trois mouvements s'apparente nettement à la musique de Beethoven ou de Brahms, alors que 21 Grammes est bien plus proche des toutes premières œuvres de Arnold Schönberg, et que Babel nous fait songer à des variations infinies. Evidemment, cela m'a bien aidé à apprécier énormément Amores Perros, mais aussi les deux autres créations, qui nous livrent son point de vue sur l'humanité, la violence, le hasard, en résumé sa propre vue sur le monde - ce qui reste très rare chez les réalisateurs actuels !