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  • jeudi, avril 26, 2007

    ELEPHANT (GUS VAN SANT)

    Un film très particulier...
    Inclassable toutes catégories, mais tout de même pas si mal, puisque la plupart des jurys de Cannes 2003 ont jugé bon de lui attribuer la fameuse et mythique Palme d'Or !
    Ce film retrace l'histoire de la tuerie de Colombine, durant laquelle deux adolescents avaient fait un véritable massacre en tirant à vue sur tout ce qui bouge :
    Bon, ça, c'est la donnée brute, les choses telles qu'elles sont - ou telles qu'elles ont été. Mais comment filmer tout ça, en espérant donner au spectateur quelques clefs pour comprendre un événement aussi abominable ?
    En ceci, j'admire beaucoup le postulat de base de Gus Van Sant, auteur de nombreux films atypiques, notamment My Own Private Idaho, ou le désopilant Even Cowgirls get the Blues, l'un des tous premiers films de la grande star Uma Thurman : ne rien expliquer, ne rien démontrer, juste filmer au début le quotidien d'un lycée ordinaire, avec son lot trop évident d'archétypes, le môme fatigué par les dérives de son père alcoolique :
    Le petit gentil timide - l'un des tueurs, en fait - qui passe son temps à se faire agresser par tout le monde :
    L'inévitable complexée de service (elle ressemble quasiment à Coluche !), que tout le monde prend un malin plaisir à faire souffrir :
    Sans oublier le fameux gang des canons, toujours si smarts et si sûres d'elles :
    Sinon qu'elles passent leur temps à se faire vomir dans les toilettes du lycée - heureusement, c'est filmé plutôt sobre, là, excepté la bande son :
    Bon. Le décor est posé, là... Et du reste, sans grande originalité, normal : c'est le décor exact de n'importe quelle lycée à n'importe quelle époque dans n'importe quel pays du monde !
    Au niveau purement cinématographique, il faut tout de même noter le nombre absolument hallucinant de plans-séquences dans ce film, et notamment de dos, comme si le réalisateur essayait en permanence de nous mettre dans la peau des deux futurs tueurs (le premier plan de ce genre sur le porteur du T-shirt "Lifeguard" n'est d'ailleurs pas du tout innocent, au sens où malgré cet intitulé conscient de "sauveteur", le message inconscient véhiculé par la couleur rouge et la croix en forme de cible n'est autre, finalement, que : "Tuez-moi !") :
    Même quand l'un de ces futurs tueurs se livre à l'un de ses passe-temps favoris, la musique (encore Beethoven !), d'ailleurs sans la moindre expressivité :
    Au bout d'un moment cependant, tout devient d'un seul coup bien plus évident :
    Avec quelques flashbacks sur certains des jeux vidéos préférés du duo (encore que, personnellement, je ne souscrive pas du tout à cette théorie selon laquelle les jeux vidéos seraient responsables de la violence, bien au contraire !) :
    Ainsi que quelques petits surfs bien sympathiques :
    On aimerait bien croire que ça n'existe pas pour de vrai, mais détrompez-vous ! Le site lui-même est bel et bien présent en réalité, et peut-être même qu'en France, vous pourriez peut-être bien vous faire livrer à domicile un Uzi, ou un fusil d'assaut sur ce site, GUNS-USA, qui sait ?
    Bref ! Petite vidéo de routine, pour passer le temps :
    Et voici le joujou qui arrive via UPS - on rêve, là, quand même, non ?
    Et contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce n'est absolument pas quelque chose d'improvisé, mais au contraire très froidement et très professionnellement planifié :
    Juste un jeu de gosses à la con qui a très mal tourné, quoi... Am, Stram, Gram, etc... :
    Très étrange film, en résumé, qui pose toutes les bonnes questions, mais n'apporte jamais aucune réponse (est-ce qu'il y en a seulement une ?)... Dieu sait qu'à l'âge de l'adolescence, on peut faire un paquet de conneries, je n'en ai d'ailleurs pas plus été à l'abri qu'un autre, disons juste que j'ai eu du bol - ou de l'instinct - de passer au travers de certains trucs, le suicide, les drogues dures, etc... surtout à une époque où c'était bien plus glams qu'aujourd'hui :
    Ce qui me scotche, quand même, dans cette histoire : c'est qu'à l'époque de mon adolescence (disons dans les années 90), j'aurais peut-être pu, à la rigueur, admettre l'idée de flinguer certains des profs les plus cons du lycée, et en particulier le proviseur... Mais jamais, au grand jamais, mes camarades de classe, même ceux que je n'aimais pas particulièrement. Là, il y a tout de même un cran qui est franchi, je trouve (et dont fort heureusement, nous sommes encore préservés en Europe, pour combien de temps ?)...
    En résumé : un film bon à voir, mais pas tous les jours, please !
    Autres films du même réalisateur : Even Cowgirls Get the BluesGerryParanoid Park

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    dimanche, avril 22, 2007

    BADLANDS (TERRENCE MALICK)

    In french : La Balade Sauvage !
    À l’instigation d'un ami, je viens de découvrir Badlands (daté de 1973), le tout premier film de Terrence Malick (avant Les Moissons du Ciel, et le génialissime La Ligne Rouge), et je dois bien dire que je ne l’ai pas regretté.
    Réalisateur presque aussi mythique que Stanley Kubrick, avec lequel il partage un certain goût du secret, une volonté de perfectionnisme absolu, et parfois même l'amour de la musique classique (puisque une grande partie de Badlands est accompagnée par des thèmes de Carl Orff ou d'Erik Satie), Terrence Malick, né en 1945, passe son temps - comme la plupart des grands créateurs - à explorer sans relâche le même thème : la sauvagerie humaine, opposée au calme et à la sublimité de la nature :
    Ce qui donne, bien sûr, au final, un style cinématographique plutôt lent, mais d’une telle beauté plastique que le souffle lyrique est toujours présent !
    Scénarisé à partir d’une histoire vraie, Badlands raconte en road movie la fuite en avant de deux jeunes amants (Martin Sheen et Sissy Spacek), qui à l’origine ne voulaient rien d’autre que pouvoir s’aimer tranquillement - n’eut été la volonté du père de la jeune fille :
    Argh, un peu de poésie au cinéma, l'une des choses les plus rares du monde :
    Sur un mode beaucoup plus calme, l’histoire apparaît d’ailleurs très proche du très hystérique Natural Born Killers d’Oliver Stone (plus de 5000 plans pour deux heures de film, un record dans l’autre sens, tout aussi génial d’ailleurs), puisque toute cette cavale commence elle aussi par un parricide et un incendie :
    Bientôt recherché par toutes les polices de l’état, le jeune couple (dans l’histoire réelle, 19 et 14 ans !) n’a finalement plus comme seule issue que de se cacher au sein de la mère nature, en vivant en totale autarcie (avec, comme toujours chez Malick, ces grandes envolées lyriques, qui frisent parfois même le documentaire, tout comme dans La Ligne Rouge) :
    Sinon qu’à chaque fois qu’ils risquent d’être démasqués, Martin Sheen flingue à tour de bras tout se qui passe dans son collimateur, avec à la clef une cavale de plus en plus désespérée, au travers de ces immenses plaines déprimantes du Sud Dakota :
    Jusqu’à son arrestation presque consentie et résignée :
    Le plus étrange restant qu’il s’agisse, en fin de compte, d’un garçon plutôt agréable, et même très doué pour engendrer la sympathie, à preuve la scène finale tout à fait étonnante, où il s’avère devenu tellement cool avec les flics qui l’ont arrêté, que tous se montrent super gentils avec lui :
    Dans la série des petites curiosités à mentionner :
    1) Terrence Malick concernant le choix de ses deux principaux acteurs, encore peu connus à l’époque : Martin Sheen, qui explosera cinq ans plus tard dans le sublime Apocalypse Now de Francis Ford Coppola ; et Sissy Spacek, qui devait devenir ultra célèbre en 1976 avec Carrie au Bal du Diable de Brian de Palma...
    2) Terrence Malick en personne (qui ne se montre pratiquement jamais en public), et qui pour la seule fois de sa vie a joué un petit rôle dans Badlands, même pas crédité au générique, tout simplement parce que l’acteur supposé s’est désisté le jour même du tournage de la scène (c’est l’homme qui sonne à la porte de l’homme riche) !
    3) La tête de Martin Sheen sortant très lentement de sa tanière souterraine :
    Vous êtes sûr que ça ne vous rappelle pas quelque chose, ça ? Hum… cherchez bien ! Un plan mythique, souvent cité et recité comme provenant d’Apocalypse Now, où ce même Martin Sheen émerge de la rivière juste avant l’affrontement final avec Marlon Brando ? Et bien voilà, il était temps de rendre à Malick ce qui appartient à Malick !
    4) Et pour finir, à l’intention de mes collègues pianistes, petite règle de sécurité évidente à toujours garder en mémoire : attention, ne pas nettoyer un clavier de piano à l’essence :
    Ceci peut ne pas toujours donner les résultats escomptés, surtout si vous êtes fumeur :
    A part ça, Badlands, ça se trouve très facilement sur le fameux site... Que demande le peuple ?

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    lundi, avril 16, 2007

    PROVA D'ORCHESTRA (FEDERICO FELLINI)

    Mais non, vous ne rêvez pas : il fut un temps lointain (1978) où la RAI, bien avant d’appartenir à Berlusconi, ne produisait pas que d’infâmes crétineries, auprès desquelles même les pires émissions de TF1 pourraient encore passer pour des sommets d’intellectualisme.
    Coincé entre ces deux monuments que sont le Casanova (1976) et la Cité des Femmes (1980), Prova d’Orchestra fut donc tout d’abord un téléfilm, avant son effective sortie en salle, et marque l’ultime collaboration de Federico Fellini avec son complice de toujours, le musicien Nino Rota, qui devait décéder l’année suivante :
    Malgré sa durée réduite (70 minutes) et son budget forcément modeste, Prova d’Orchestra apparaît comme un film extrêmement riche, complexe, et même ambigu à bien des égards, un film qui à tout moment évoque en nous de multiples résonances, à commencer par celle-ci, la toute primale, celle sur laquelle s’ouvre le film :
    Après un générique uniquement sonore hallucinant, basé sur des sonneries, des sirènes de police, des klaxons de plus en plus nombreux et insupportables, le spectateur se retrouve soudainement plongé dans le silence d’une crypte souterraine, une sorte de lieu fœtal, au sein duquel seule la voix du copiste tente de faire vibrer le silence ambiant :
    Bref. Trois minutes du film se sont à peine écoulées, que déjà le génie du Maître suinte de partout, et ma foi, ce n’est pas désagréable, étant donné tout ce qu’on peut voir à la même époque comme navets.
    Suivant une structure assez limpide, le film apparaît clairement divisé en quatre parties... L’arrivée de l’orchestre, tout d’abord (la plus longue de toutes, 20’), suivie de trois sections de durée à peu près équivalentes : la première répétition, la pause, et la seconde répétition, la révolution. Avec à la clef une série de savoureux portraits extrêmement bien vus, qui même en 2007 n’ont pas bougés d’un iota, allant des instrumentistes à vent surtout préoccupés d’écouter le match de foot sur leur radio portable, jusqu'à la parfaite musicienne arborant en toute circonstance le même sourire niais :
    En passant bien sûr, comme toujours, par ceux qui se la pètent, et ceux avec lesquels il est toujours agréable de boire de bons coups :
    Sauf qu’un élément perturbateur va bientôt intervenir pour fausser toutes les perspectives : une équipe de télévision présente sur les lieux, dont l’œil inquisiteur va très vite contribuer à monter les musiciens les uns contre les autres, puis contre le chef.. Sans parler des fameux syndicalistes épinglés au passage, y compris en ce qui concerne leur goût vestimentaire toujours assez particulier :
    Enfin, le chef arrive ! Et pas n’importe quel chef : un chef allemand, exigeant, dictatorial, et pourtant pas forcément par mauvaise volonté, plutôt par un amour de la musique qui le pousse parfois à des exigences quelque peu démesurées (au point qu’au bout d’un moment, traumatisés par un tempo d’enfer, la plupart des musiciens commencent joyeusement à se déshabiller) :
    On peut dire que c’est à peu près à cet instant, juste avant la pause d’orchestre, que le film commence à basculer dans une douce folie. Durant cette longue pause en effet (16’), tandis que les musiciens aiguisent de plus en plus leur rancœur et leur individualisme, sous la pression croissante, bien sûr, des interviewers de la télévision :
    Le chef, en proie dans sa loge à la déprime la plus totale, finit certes lui aussi par céder aux sirènes des médias, mais contrairement à toute attente, non pas pour se mettre lui-même en avant, mais pour rappeler une époque déjà lointaine et révolue en évoquant son maître, du temps où il n'était que premier violon, un maître sans doute exigeant et impitoyable, mais - comme il le dit dans son mauvais italien...
    Et lorsque après la pause, le chef retrouve son orchestre dans une crypte seulement éclairée à la bougie pour cause de panne de courant, ce n’est que pour constater l’ampleur du désastre, une révolution généralisée où plus personne ne veut de dirigeant, pas même le métronome géant envisagé à un moment :
    La fin du film, d’une absolue ambiguïté, illustre de la façon la plus subtile possible l’ambivalence politique du film, qui d’ailleurs n’a pas toujours été justement comprise par les critiques de l’époque. Car après l’essoufflement inhérent et consécutif à toute révolution, vient bien sûr l’inévitable tentative de réconciliation nationale :
    Sinon que… Toutes ces belles idées une fois exprimées, le chef ne va pas tarder à les oublier aussi sec pour en revenir, hors champ, à son comportement initial ! On y entend juste, sur fond noir, la voix du chef qui s’énerve de plus en plus en italien, jusqu’à ce qu’il craque complètement et rebascule sur son allemand natal, avec une diction et des intonations qui rappellent, à s’y méprendre, certains accents d’une certaine cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques dans un certain pays à une certaine époque… Heil !
    Ce que n’ont pas saisi la plupart des critiques de l’époque dans cette vision politique subtile de la part de Federico Fellini, c’est à mon humble avis l’extension du microcosme extrêmement subtil de l’orchestre à la société dans son ensemble.
    Dans un orchestre, il existe en effet environ quatre-vingt individus de très haut niveau, extrêmement susceptibles en ce qui concerne leurs compétences, quatre-vingt individus tous suffisamment musiciens pour avoir chacun leur avis bien personnel sur l’œuvre à créer en commun. Et en même temps, ça ne peut pas marcher comme ça...
    Ce que tente de nous apprendre ce film, finalement, même d’une façon plutôt provocante, c’est peut-être l’essence même de la démocratie : comment maintenir, au sein des sociétés humaines, cet équilibre miraculeux et extrêmement fragile entre d’une part, le besoin d’expression et de liberté inaliénable de chaque individu, et d’autre part le respect consenti d’un certain nombre de règles, pas forcément toujours agréables, dans l’intérêt de la stabilité du système. Ou encore : à quel point la plus petite erreur de dosage, d’un côté ou de l’autre, va pouvoir nous conduire tout droit soit au chaos, soit à la dictature !

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