Certes, ce n'est pas la première fois que je parle de Martin Scorsese, mais je voulais mentionner ce film exceptionnel sorti en 2017, et réalisé d'après un livre de Shûsaku Endô (1966), qui parle de l'apostasie du XVIIème siècle au Japon :
Comme très souvent, c'est totalement génial et entièrement véridique, mais par contre, ça dure assez longtemps (2h40), et c'est interprété par des acteurs assez peu connus (à part Liam Neeson)... Ce qui ne signifie pas qu'ils soient mauvais, loin de là, mais cela justifie au moins le passage par ce trailer, nécessaire à ceux qui ne l'ont pas encore vu :
Pour une fois, je vous livre sa photo, fort sympathique malgré son âge... Après La Dernière Tentation du Christ (1988) et Kundun (1997), celui-ci est le troisième Opus que Martin Scorsese consacre à la religion, et non sans peine, puisqu'il rêvait déjà de le faire autour des années 1990 - en plus avec trois personnes bien connues, Benicio del Toro, Daniel Day-Lewis et Gael Garcia Bernal, qui n'ont hélas pas pu y participer en 2017 :
Venons-en maintenant à la véritable histoire dont il est question : au départ, ceci se passe encore à Macao, où le père Sebastião Rodrigues (Andrew Garfield) et le père Francisco Garupe (Adam Driver) sont très inquiets de la disparition au Japon de Cristovão Ferreira, qui aurait abjuré sa foi catholique une fois torturé sur le mont Unzen... Ils décident donc tous les deux de partir pour l'île, où ils sont bien accueillis par les habitants de Tomogi, qui pratiquent eux aussi le christianisme en secret :
Mais cela n'est pas du tout facile, comme se le dit de plus en plus souvent Sebastião Rodrigues, confiné dans une hutte, avant de partir pour le village de Goto, encore plus chrétien :
Il a certes de bons entretiens avec certains membres du village :
Mais d'autres bien plus complexes avec le très déroutant Kichijiro (Yôsuke Kubozuka), qui l'a fait traverser dès le début par le bateau, et apparaît là sous un jour très différent, comme un chrétien s'étant livré au piétinement de l'image de Jésus (fumi-e), avant de voir toute sa famille brûlée vive par les hommes de Inoue, le Shôgun le plus puissant du Japon :
Le même Inoue réapparaît d'ailleurs au centre de Tomogi, où il prend à nouveau quatre otages, leur ordonnant non seulement de pratiquer le fumi-e, mais aussi d'aller plus loin, cracher sur la croix de bois et insulter la vierge Marie... Ce qu'à part Kichijiro, aucun n'est capable de faire, ce qui justifie leur propre crucifixion :
Trois croix plantées dans la mer montante, ce qui va prendre des jours avant qu'ils ne soient définitivement morts, dans les plus atroces conditions possibles :
Ceci est magnifiquement filmé, et vous savez bien sût à qui nous devons cet exploit :
Une fois de plus, Kichijiro se voit encore obligé de demander à Sebastião Rodrigues de l'absoudre, ce que ce dernier fait avec patience, mais de moins en moins convaincu de l'utilité de cette pratique :
Plan superbe que l'on découvre environ à la moitié du film : celui de Sebastião Rodrigues se contemplant dans une sorte de miroir... Où il voit à sa place le Christ lui apparaître, et il ne sait pas trop quoi en penser :
D'ailleurs, tout se dégrade de plus en plus, à commencer par l'inquisition habituelle :
Suivi une nouvelle fois par la mise en prison du déroutant Kichijiro :
Et peu de temps après, de Sebastião Rodrigues, où il va voir non seulement la décapitation d'un homme ayant refusé le fumi-e, mais aussi la noyade de quatre chrétiens japonais, en plus soldée par la disparition en mer de son collègue Francisco Garupe - qui est revenu au mauvais endroit au mauvais moment :
Nous voici donc au dernier tiers du film, où l'on découvre enfin l'ancien père Cristovão Ferreira (Liam Neeson, qui avait déjà participé à Gangs of New York en 2002), qui n'est pas du tout mort sur le mont Unzen, comme on le croyait au tout début :
Nous découvrons en fait sa propre histoire ici, qui ne s'avère pas spécialement sympathique :
Lui et Sebastião Rodrigues se retrouvent en fait dans une petite prison, où Cristovão Ferreira se sent obligé de lui raconter ce qu'il a vécu durant ces quinze dernières années, cruciales dans le sens où il a pu prendre conscience de l'absurdité de la religion catholique - en tous cas au Japon, où seul Bouddha et le soleil règnent sur le monde :
Mais Sebastião Rodrigues ne se trouve pas du tout prêt à entendre ceci, même si visiblement parrainé par plus d'une personne (peut-être Mokichi ?) :
En plus, il se trouve même aidé par un traducteur et assistant (Tadanobu Asano), lequel se révèle fort courtois et sympathique :
Inutile de dire que sa conversion est essentielle pour Inoue (Issei Ogata), qui commence de façon assez délicate... Mais vu que ça ne marche toujours pas, il entreprend de torturer à nouveau cinq chrétiens, à la fois saignés et pendus par les pieds, laissant ainsi Sebastião Rodrigues au pardon de lui-même, et finalement à l'accomplissement du fumi-e, piétiner l'image du Christ :
Ceci laisse désormais toute sa place à Cristovão Ferreira - qui se nomme depuis Sawano Chuan, et est marié avec une japonaise :
Et il va assez vite en aller de même pour Sebastião Rodrigues, qui va prendre le nom, la femme et l'enfant d'un japonais mort, Okada San'emon, et vivre désormais dans ce pays en tant qu'inspecteur des navires étrangers, afin de vérifier qu'ils ne transportent pas d'objets catholiques :
Ce qui ressemble étonnamment à un tableau hollandais de la même époque, n'est-ce pas ? Il est d'ailleurs dommage de ne pas posséder le DVD du film, car toute sa fin est basée sur la présence des seuls hollandais au sein du Japon, y compris la voix du narrateur Dieter Albrecht - mais merci à ARTE d'avoir été la seule chaîne à oser diffuser ce chef-d'œuvre !
Vous vous demandez sans doute ce qui m'a beaucoup plu dans ce film, hormis ma passion pour le Japon, et le fait que j'ai été marié durant une dizaine d'années avec une femme de ce pays - qui, plus grand des hasards, se prénommait justement Fumie (piétiner le visage du Christ)...
Je ne sais par où commencer, qu'il s'agisse de mon admiration envers tout ce qu'a fait Martin Scorsese, ou bien de ma méfiance envers le catholicisme, que je trouve assez inadapté au XXème siècle, en tous cas bien moins que le bouddhisme. Toujours est-il que son point de vue est très juste, jamais franchement d'un côté ou de l'autre (comme les gens de cette époque, sans cesse tournant et retournant autour de la vérité), et je trouve cela tout à fait approprié à ce genre de narration, parfaitement objectif face au point de vue religieux, que nous ne pourrons jamais véritablement imposer ou dénigrer. Bravo, donc, à Silence et à Martin Scorsese !