Savez-vous pourquoi je me mets à parler de ce film (tristement intitulé en français La Leçon de piano), datant exactement de 1993, soit trente ans auparavant ? Il y a au moins deux bonnes raisons à cela, et je vais vous les donner sans plus tarder :
1) Il s'agit du premier film réalisé par une femme à remporter la Palme d'or du Festival de Cannes cette même année, Jane Campion, une artiste de Nouvelle-Zélande fort douée pour parler de son propre pays. Ensuite, il y a hélas assez peu d'évènements de ce type, exception faite de la nomination de Kathryn Bigelow à obtenir le premier prix de la BAFTA en 2010, dont j'ai naturellement déjà parlée dans mon article du 8 mars, Journée internationale des femmes.
2) Par ailleurs, il y a extrêmement peu d'Opus concernant cet instrument - dont j'ai joué presque toute ma vie... Je pourrais certes parler d'Amadeus de Milos Forman (1984), ou de The Pianist de Roman Polanski (2002), mais il ne joue qu'un rôle totalement secondaire dans ces films, alors qu'il est fondamental dans celui de Jane Campion - d'autant que l'actrice principale l'utilise comme moyen de communiquer, étant muette depuis l'âge de six ans.
Ada McGrath (Holly Hunter) est en effet une grande interprète, et on l'entrevoit au tout début venant de son Ecosse natale en 1852. Juste avant de débarquer avec sa petite fille dans l'île de Nouvelle-Zélande, une nommée Flora McGrath (Anna Paquin), où celle-ci lui sert de traductrice de sa langue des signes :
Entièrement vêtue d'habits typiques de l'époque victorienne, elle est au départ prise en charge par la troupe de Maoris - qui, pour l'instant, s'avère plutôt pacifique :
Très peu de temps après, elle va rencontrer en même temps l'énigmatique George Baines (Harvey Keitel), et celui pour lequel elle est venue spécialement en Nouvelle-Zélande, le futur mari qu'elle ne connait pas encore, Alistair Stewart (Sam Neill) :
Mais il va faire aussitôt ce qu'il faut, le mariage, même si cela se passe rapidement et entièrement sous la pluie :
Ce qui provoque, on ne sait trop pourquoi, cet aveu insoupçonné de George Baines à Ada McGrath :
Mais elle, bien que muette, n'est pas sourde du tout, et veut absolument son piano - qui est resté sur la plage, en fonction du peu d'intérêt qu'éprouve Alistair Stewart envers cet instrument :
Bien qu'Ada McGrath l'ignore encore, George Baines est le seul à pouvoir l'aider... Il a très bien senti la désapprobation d'Alistair Stewart envers cet instrument, et tente de lui échanger contre des terres visiblement inutiles, mais dont le colon serait bien avide :
Alistair Stewart a l'air dans un premier temps assez surpris, mais il adopte rapidement cet échange, qui rapporte finalement à tout le monde :
C'est donc le moment pour Ada McGrath et sa petite fille d'aller jouer une dernière fois sur la plage, avant que le piano ne déménage définitivement chez George Baines... N'oublions d'ailleurs pas que toute la musique du film, très généreuse et bien parlante, est due à Michael Nyman, qui nous donna à l'occasion son Concerto pour piano !
Une fois le piano dans la maison du principal intéressé, il n'y a qu'une seule façon de le racheter - et ce n'est certes pas sur le peu d'argent d'Alistair Stewart qu'elle doit compter... En fait, George Baines monte un deal avec elle, consistant à échanger un certain nombre de touches contre ce qu'elle pourra donner d'elle-même, à prendre ou à laisser :
Sa petite fille Flora s'inquiète un peu, dans un premier temps :
Mais visiblement, pour de rien... Comme le fait remarquer à Alistair Stewart sa tante Morag (Kerry Walker), tout se passe provisoirement bien :
George Baines commence donc à appliquer son deal, dans un premier temps plutôt simple et facile à réaliser :
Au bout d'une heure de film, on assiste à une grande fête montée pour la famille dans la maison d'Alistair Stewart... Où se matérialisent pas mal de choses, absolument pas dues au hasard - si l'on sait bien lire au second degré :
Pendant ce temps, George Baines exige de plus en plus d'Ada McGrath... Et si celle-ci fut un peu gênée au départ, elle sait maintenant exactement quoi lui demander, et n'hésite pas à lui donner son prix :
Alors survient un coup de théâtre assez inattendu : n'ayant au bout du compte pas assez d'argent pour acheter le piano, il décide finalement de le rendre à Alistair Stewart, en compagnie des Maoris pour le porter :
Cela provoque chez Ada McGrath une réaction marquée, tout à la fois très violente et portée sur le silence absolu, ce qui gêne beaucoup Alistair Stewart :
Et George Baines le vit très mal lui aussi, bien que pour une toute autre raison :
Le problème, c'est qu'Ada McGrath est finalement assez d'accord avec lui, pouvant de moins en moins supporter ce mari colon Alistair Stewart, qu'elle a depuis longtemps mis de coté :
Hélas, Alistair Stewart passait justement par là, et se livre à l'espionnage de leurs pratiques - qui lui semblent insultantes et totalement dépravées :
Peu de temps après, il tente la même chose dans les bois avec Ada McGrath, mais sans succès... Car fort heureusement, la petite fille Flora intervient au bon moment :
Cela n'empêche pas Alistair Stewart de se montrer extrêmement virulent, allant jusqu'à les séquestrer toutes les deux dans une maison entièrement bouclée... D'où elle est interdite de sortie, jusqu'à ce qu'il lui dise la vérité sur George Baines et son départ :
Et s'interroge du même coup sur cet autre fait, bien plus gênant pour lui, et totalement incompréhensible :
En ce moment, enfermée dans la maison, elle n'a qu'un seul moyen de communiquer avec George Baines en écrivant son amour sur une touche de piano, qu'elle lui fera parvenir en utilisant sa petite fille :
Mais Alistair Stewart s'en aperçoit, par négligence de Flora... Et décide de lui couper un doigt à la hache pour commencer - même s'il doit monter jusqu'à deux, trois ou quatre par la suite :
Ensuite, il a bel et bien l'intention de tuer George Baines avec son fusil... Mais il s'en empêche à la dernière minute, comprenant très bien qu'au final, seule la volonté de Ada McGrath compte réellement :
Il laisse donc George Baines l'emmener avec lui sur un archipel bien plus paisible, ce qu'il fait aussitôt avec l'aide de quelques Maoris... Mais Ada McGrath va bien surprendre tout le monde par sa dernière volonté, celle de jeter le piano en pleine mer depuis la pirogue :
Et plus étonnant encore, elle passe le cordon à ses jambes pour mourir au même endroit... Mais elle sort de l'eau finalement bien décidée à vivre, quoiqu'il arrive :
Finalement, elle a bien raison... Une fois parvenus sur une autre terre dans leur nouvelle maison, George Baines lui refait son doigt, et Ada McGrath apprend à parler (ou se souvient de la parole ?) :
La presque dernière image nous surprend toujours, tellement elle nous montre à quel point Ada McGrath avait raison, et ne se trompait pas du tout vis-à-vis des intentions de George Baines :
Vous voulez voir un petit trailer de cet excellent film ? Je vous en prie :
C'est une œuvre étonnante, n'est-ce pas ? D'une part, bien sûr, car il s'agit de la première Palme d'or du festival de Cannes remis à une femme en 1993, mais d'autre part, parce qu'il y est question - en une époque beaucoup plus réservée - du pouvoir féminin sur les hommes qui passent à ses côtés.
Le rôle de Holly Hunter y est d'ailleurs remarquable, aussi bien en tant que pianiste qu'en tant que grande muette ne se servant que de la langue des signes, et lui valut non seulement le prix d'interprétation féminine dans ce même festival en 1993, mais aussi l'année suivante un prix identique aux Oscars, aux Golden Globes et à la BAFTA.
Sam Neill n'apparaît par contre pas sous son meilleur aspect, surtout comparé à Harvey Keitel, qui emporte tout... Mais quoi qu'il en soit, cela reste avant tout important pour Jane Campion, qui gagna avec ce prix une vision bien plus positive de ses films précédents (surtout An Angel at My Table, assez fantastique), et lui promettant un très bel avenir - notamment avec The Portait of a Lady, avec Nicole Kidman et John Malkovich. Soyez donc très heureux en regardant cet Opus, qui a très peu d'équivalents sur le marché !
Il s'agit sans conteste de l'un des films les plus brillants que j'ai jamais vu sur le sujet, en l'occurrence la rébellion de Satsuma, qui s'est produite en 1877. Ceci eut lieu au Japon, en pleine période de modernisation et de changement de culture, de langue et de vêtements, et ce fut la dernière manifestation des samouraïs, avec à leur tête Saigô Takamori - ici rebaptisé Katsumoto.
L'œuvre sera tournée en 2003 par Edward Zwick, en grande partie en Nouvelle-Zélande, avec ces deux acteurs fondamentaux : Tom Cruise, vraiment excellent dans ce rôle capital (situé juste entre Eyes Wide Shut et Collateral), et Ken Watanabe, son rival japonais, qui deviendra bientôt son ami.
Cela débute peu avant 1877, le capitaine Nathan Algren (Tom Cruise) - en grande partie inspiré du militaire français Jules Brunet - semblant mettre une certaine mauvaise volonté à se montrer lors d'un discours, qui lui semble de plus en plus lamentable :
Mais le lieutenant-colonel Benjamin Bagley (Tony Goldwyn) réussit tout de même à le convaincre par l'argent - même si Nathan Algren semble le détester depuis longtemps :
Peu de temps après, une fois tous rendus au Japon, ils doivent rencontrer l'empereur Meiji (Shichinosuke Nakamura), qui va leur dicter ses principales volontés, notamment celle de remettre bien à sa place le légendaire chef des samouraïs, Katsumoto :
Cela a l'air bien trop facile pour Nathan Algren, qui semble avoir déjà gagné cette bataille :
Mais lorsqu'il dort, il se revoit en 1876 aux côtés du général Custer et de Benjamin Bagley - tout à la fois en train de perdre en beauté, et de voir des sioux et des cheyennes en train d'agoniser :
Le lendemain, Monsieur Omura, un puissant homme industriel et politique (Masato Harada) - largement inspiré par Ôkubo Toshimichi - donne son ordre définitif, celui d'abaisser définitivement les samouraïs à la reddition... Ce dont Nathan Algren doute fortement, d'après ce qu'il a vu et entendu :
Mais il importe peu : c'est Monsieur Omura qui paye, et donc lui qui décide d'attaquer de nuit les samouraï... Nathan Algren a beau se sentir fort, un court instant, il est rapidement encerclé par ces guerriers impitoyables, vêtus à l'ancienne :
Ceux-ci décident, après l'avoir vaincu, de l'épargner, et de l'emmener dans le village qu'ils dominent encore, vraisemblablement Kagoshima... Il est à noter que les costumes des samouraïs, s'ils paraissent quelque peu extravagants, sont absolument authentiques !
Voici donc le second personnage le plus important de l'histoire, Katsumoto (Ken Watanabe), qui parait totalement opposé à Nathan Algren... Mais il décide malgré tout de le garder en vie, sachant très bien qu'il n'y a aucune façon de s'enfuir du village :
Ceci ne se passe pas très bien, au début, où Nathan Algren a l'impression d'être suivi en permanence - par des gens ne parlant pas un mot d'anglais :
Mais Katsumoto fait bien sûr exception, et veut déjà au départ connaître le nom de celui-ci - ce qu'il finit par obtenir, et cela lui suffit, dans un premier temps :
Curieusement, Nathan Algren, de peur de s'ennuyer, participe à pas mal de jeux - qui sont en réalité des ébauches de batailles relativement délicates... Mais il semble que finalement, il se sent paradoxalement plutôt bien, et continue à jouer tout seul une fois rentré à l'intérieur :
Et cela lui fait beaucoup de bien, finalement :
Il se sent de moins en moins américain, et après avoir appris quelques mots de japonais, comme goûté leur excellente cuisine et leur saké, il assiste avec un grand plaisir au spectacle que tout le monde organise, le théâtre Kabuki :
Cela devrait bien se passer, et pourtant... Une meute de guerriers, probablement envoyée par Monsieur Omura, entreprend d'un seul coup de les attaquer, se servant d'armes traditionnelles et de feu. Mais c'est évidemment sous-estimer les samouraïs, qui réussissent à les vaincre sans problème, et en plus aidés par Nathan Algren :
Résultat ? Monsieur Omura est bien obligé de se montrer un tant soit peu civilisé, et invite du coup tout le monde à venir à Tôkyô - dont on peut voir (c'est désormais une pure illusion) le château impérial d'Edo :
Katsumoto se livre à l'empereur Meiji, de la façon la plus appropriée possible, mais il est dans un premier temps rejeté :
Pire encore, Monsieur Omura décide contre toute attente de l'arrêter, et de le garder dans un endroit théoriquement bien protégé... Katsumoto tente son dernier atout, livrer à l'empereur Meiji son sabre ancestral, mais visiblement sans grand succès :
Nathan Algren a sa propre version des faits, et décide de s'y attaquer en toute légitimité - bien que cela ne soit pas spécialement facile :
Dans un premier temps, avec l'aide de Simon Graham (Timothy Spall), un photographe, il parvient à entrer dans l'intérieur... Et au grand étonnement de Katsumoto, il s'avère totalement de son côté, de plus en plus attaché à l'ancien Japon, à ses yeux beaucoup plus positif que celui qu'essayent de créer tous les gens autour de Monsieur Omura :
Il reste cependant à sortir et à regagner le village de Katsumoto, ce qui est nettement moins facile que prévu :
Néanmoins, ils arrivent à bien s'enfuir... Et une fois rendus à Kagoshima, tous les deux sentent la grande bataille se préparer, et tentent d'y trouver des solutions :
Ceci est nommé la rébellion de Satsuma, et il est vraisemblable que Edward Zwick ait choisi d'en traiter sa dernière phase, la bataille de Shiroyama, qui mettait en jeu en septembre 1877 près de 30000 soldats officiels, contre 500 samouraïs restants... Il n'est pas certain que la sœur de Katsumoto, Taka (Koyuki Katô), ai vraiment aidé Nathan Algren à porter l'armure de son défunt mari - mais l'idée est très agréable, malgré tout :
Toujours est-il que nous en sommes à contempler les deux armées, l'une trop moderne et déprimante en même temps, l'autre bien ancrée dans la tradition et prête à tout pour accueillir la première :
Une situation à laquelle Monsieur Omura et Benjamin Bagley sont naturellement préparés - tellement confiants dans les tout nouveaux obusiers (les mitrailleuses Gatling) qu'ils ne doutent pas une seconde de l'issue de cette bataille :
Dans un premier temps, pourtant, ils se trompent largement, et ne soupçonnent pas toutes les possibilités qu'ils restent aux samouraïs - que Nathan Algren les a aidé à concevoir :
Ils se lancent au final à cheval, provoquant ces monstrueuses paroles de Monsieur Omura :
Ceci va se résoudre pour Nathan Algren dans un premier temps plutôt bien, puisqu'il réussit à abattre son pire ennemi américain, Benjamin Bagley :
Mais cela ne va pas durer, et Katsumoto va finir par se faire descendre à son tour :
Et bien que leur dernier échange soit très touchant, ceci n'empêchera pas Katsumoto à se donner la mort lui-même par seppuku - ou, comme on le dit faussement en occidental, harakiri :
Nathan Algren était lui aussi bien touché, mais il parvient à s'en remettre... Et décida alors, une fois tout ceci passé, de se rendre au château impérial d'Edo, afin de remettre à l'empereur Meiji le sabre ancestral de Katsumoto :
Ce qui, une fois passée la vague de silence à laquelle l'empereur était obligé de s'accrocher, lui valu cette déclaration :
Il va de soi que cette attitude n'a été adoptée qu'un bref moment, avant de donner cours à la modernisation du pays, à la suppression du système féodal et du shogunat, en rendant l'éducation obligatoire, en créant un parlement et une constitution, etc... Mais ceci n'apparaît pas dans le film, qui se conclut en 1877 avec les dernières paroles émouvantes de Nathan Algren, "je vous raconterai comment il a vécu" :
Que vous dire de plus flatteur ? Certes, il s'agit d'un Opus magnifique sur l'histoire du Japon, tourné d'une façon intelligente, et avec au moins deux excellents acteurs... Mais si l'on se tourne vers l'histoire occidentale des films traitant de ce pays, on tombe à un nombre extrêmement limité, dont j'ai déjà parlé dans ce site - sauf le tout dernier de Mel Gibson, qu'hélas je n'ai pas encore vu.
Si l'on classe ces œuvres par rapport à l'époque où elles se situent, nous avons tout d'abord Ghost Dog de Jim Jarmusch (1999), qui parle surtout de la culture asiatique du principal héros (Forest Whitaker) ; et ensuite, également se passant de nos jours, Lost in Translation de Sofia Coppola (2003), qui traite sur un ton assez ironique de la rencontre improbable de deux protagonistes américains sur le sol japonais.
En retournant plus en arrière, nous nous retrouvons confronté à la seconde guerre mondiale, tout d'abord avec le remarquable Letters from Iwo Jima de Clint Eastwood (2006), basé sur la bataille sur cette île (avec, une fois de plus, Ken Watanabe) ; puis avec Tu ne tueras point de Mel Gibson (2016), lui aussi dédié à cette guerre et à la bataille d'Okinawa, un film paraît-il très prenant.
Enfin, axé sur l'histoire plus ancienne du Japon, il n'y a guère que The Last Samurai (2003), absolument fascinant sur la rébellion de Satsuma en 1877, et très récemment Silence de Martin Scorsese (2017), basé sur la persécution des jésuites au XVIIème siècle dans ce même pays. Ce ne sont que des statistiques dues à Sens Critique, mais je les trouve largement fondées et notées - puisque je n'ai sélectionné que celles comprises entre 7/10 et 10/10. En tous cas, je vous remercie d'avance pour un commentaire, et vous souhaite grandement de voir ce film - si ça n'est pas déjà fait !