Sorti en 1987 - soit trois ans après Fear City -, il s'agit du premier véritable film de Abel Ferrara, tout à la fois engagé et new-yorkais, qui à lui seul dévoile la future route de l'artiste, célèbre notamment grâce à King of New York (1990) et à Bad Lieutenant (1992), tous deux remarquables.
Evidemment, il est tentant de rapprocher cet Opus de Roméo and Juliette de William Shakespeare ou de West Side Story de Leonard Bernstein, mais il n'en va pas tout à fait ainsi ; il est bien plus violent que ces deux originaux, mettant en situation deux concepts opposés : d'une part, la loi de la famille et du clan, visant l'harmonie quoi qu'il arrive, et d'autre part, celle des enfants souvent colériques ou irraisonnés, ceci quelle que soit leur origine.
Nous en avons la preuve dès le début en voyant l'italien Tony (Richard Panebianco) entrer dans cette boîte de nuit typique des années 80, suivi peu de temps après par la belle chinoise Tye (Sari Chang) :
Et il se passe très peu de temps, avant que Tony et Tye ne se voient mutuellement attirés l'un par l'autre :
Ibidem dans la réaction de Tsu Shin (Joey Chin), de la communauté de la jeune fille, qui ne voit pas du tout ceci de façon honorable :
On le sent immédiatement grâce à cette poursuite nocturne, remarquablement filmée par Abel Ferrara, qui se sert des teintes propres à New York afin de créer son propre univers :
Aussitôt, il nous livre un autre point de vue, celui de Yung Gan (Russell Wong), le frère de Tye... Et lui-même, plus vraiment enfant mais pas encore adulte, ne sait trop quoi penser sur le sujet :
Alors que Tsu Shin, quand à lui perpétuel adolescent, s'adresse au chef du restaurant de façon absolument pas ambigüe - même si ce dernier le refuse dans un premier temps :
Et la position des paternels est très forte à ce sujet... Faire en sorte que les italiens et les chinois se respectent mutuellement, quels que soient leurs quartiers de la ville, c'est la seule chose qui intéresse Gung Tu (James Hong) :
Pendant ce temps, Tony cherche à se rapprocher davantage de Tye :
Qui bien sûr habite chez son frère Yung Gan, mais ne partage pas du tout son point de vue... Comme elle n'hésite pas à le dire si franchement, "Il y a un monde au-delà de Chinatown" :
On en a aussi un exemple dans le clan italien, avec la nette opposition entre le fort décidé Alby (James Russo) et le bien plus raisonnable adulte qui marche un temps avec lui, désespérant de voir les chinois bien s'entendre avec eux :
Même Tye et Tony ne savent plus quoi faire, face à la situation :
Nous sommes environ à la moitié du film, et voici ce qui d'un seul coup se produit dans l'un des restaurants chinois :
Mais l'on parvient assez vite à retrouver le coupable - chinois, mais oui ! -, et à lui faire subir la seule chose qu'il mérite :
Tye et Tony se révèlent d'un certain côté de plus en plus peureux, mais de l'autre se livrent bien volontiers à l'acte qui s'impose de lui-même !
Si vous souhaitez voir tout cela, y compris la fin tragique, n'hésitez pas :
Curieusement, Tony est l'un des rares enfants du quartier à voir les choses objectivement, en révélant à Alby ce qui le choque le plus, l'opposition volontaire entre les deux groupes... Ce qui est immédiatement évoqué sur le même ton par les adultes chinois, qui ne voient pas du tout d'un bon œil cette lutte inutile envers les italiens :
Meilleure preuve avec la mort du cousin de Tsu Shin, qui s'est trouvé abattu par on ne sait qui :
Sauf qu'en étant lié à son cousin, Tsu Shin ne peut absolument pas laisser passer cela, même s'il tue les mauvaises personnes... Fort heureusement, et sans le vouloir, les policiers sauvent provisoirement Tony et Tye de leur destinée :
Mais la machine est lancée, et ne s'arrête pas avant d'avoir assassiné Alby... L'on ne sait pas qui l'a tué - peut-être un chinois ? -, mais l'on se réunit en grand nombre afin d'enterrer dans la plus grande noblesse l'italien digne de ce nom :
Désormais, presque tout le monde se trouve coincé dans un clan ou dans l'autre... Et si Tye écoute avec une grande pudeur son frère parler de son retour à Hong-Kong, elle n'en dit pas moins la vérité concernant Tony, et sa volonté pour lui de rester à New York, quoi qu'il arrive :
Cherchant une ultime fois à les démobiliser, Yung Gan livre alors les résultats de sa pensée :
Mais là encore, peu importe : sous une balle non identifiée - même si on l'attribue naturellement à Tsu Shin -, les deux amants sont abattus froidement, laissant la ville dans sa détresse la plus totale :
C'est sur cette image que s'achève le film... Dont il existe hélas fort peu de trailers intéressants, parmi lesquels celui-ci, qui croit montrer l'origine de la balle, mais c'est bien sûr une fausse piste :
J'emprunte pour finir quelques mots à Guillaume Gas, qui a fait une excellente analyse de cette œuvre via Wikipédia : "Animé d'une passion évidente pour la tragédie classique et l'expressionisme allemand, le cinéaste avait su bâtir avec China Girl une passerelle idéale entre le traitement détourné de ses obsessions et les canons esthétiques de l'époque (...). Sur le terrain formel et la pure description d'un univers urbain sans espoir, il n'est d'ailleurs pas difficile d'y déceler les prémices de ses futures pièces maîtresses que seront King of New York et Bad Lieutenant".
Dites-moi ce que vous en pensez, je serais alors très content !
Enfin, me voici de nouveau face à l'œuvre d'Abel Ferrara, que j'avais déjà bien examinée dans le passé, notamment King of New York (1990), Bad Lieutenant (1992), et le plus spécial Body Snatchers (1993).
D'après ce que dit Wikipédia de ce film de 1996, "Il s'agit du plus abouti de Ferrara qui, à travers le destin de trois frères, traite de ses obsessions traditionnelles : la mort, la perversion, la violence. D'une noirceur absolue, l'histoire alterne les flashbacks des principaux protagonistes et des scènes plus intimistes, donnant une épaisseur psychologique encore jamais atteinte par le cinéaste new-yorkais." :
L'on commence bien sûr par l'enterrement du plus jeune frère dans les années 30, Johnny Tempio (Vincent Gallo) :
Suivi peu de temps après par les images de toute la cérémonie, où le grand chef est le plus âgé des trois, et apparaît en même temps comme le plus dominateur de l'ambiance générale, Ray Tempio (Christopher Walken) :
Ce que je n'ai pas suivi, dans un premier temps, c'est l'apparition dans ce film d'un jeune enfant, et pourtant... Comme le dit encore une fois Wikipédia, "Certaines scènes sont très fortes, telle l'initiation au meurtre de Ray par son père alors qu'il n'a que quatorze ans : sous les yeux de ses deux jeunes frères, Ray se voit contraint de tirer sur un homme attaché, tandis que son père lui explique en dialecte sicilien la logique de cet acte." :
En tous cas, une chose est certaine depuis le début : on ne se départit que très rarement de la couleur noire, qui donne tout à la fois l'ambiance générale de l'œuvre, son titre, et l'habillage quasi constant des différents protagonistes. L'un des rares à y faire exception, du moins tant qu'il est vivant, c'est Johnny Tempio lui-même :
Qui aime bien se teinter de rouge à l'occasion - ce qui et bien normal, car c'est le seul vrai communiste de sa famille, que l'on aperçoit durant l'une des rares scènes du film où il met le feu à un camion capitaliste :
Mouvement qui est uniquement représenté par Gaspare Spoglia (Benicio del Toro), toujours très bien habillé, et accessoirement le principal ennemi de la famille Tempio :
Il nous restait d'ailleurs le dernier des trois frères à découvrir, Cesarino (nommé Chez) Tempio (Chris Penn)... Il n'est ni communiste comme Johnny, ni dominateur comme Ray, mais se laisse aller très vite à tout emportement, ce qu'hélas nous ressentirons de plus en plus :
Gaspare Spoglia se laisse aller à quelques réflexions vis-à-vis de Johnny Tempio, mais pour l'instant, c'est encore sans gravité :
En tous cas, pas comme l'acte qu'il commet secrètement sur le danseur bon ami de Johnny, qu'il assassine d'une façon très glaciale :
Retour dans le présent, les funérailles, où quelqu'un livre à Ray Tempio le motif le plus vraisemblable du meurtre de son frère :
Et l'incite du coup à focaliser précisément sur Gaspare Spoglia, qu'il envisage de plus en plus comme le potentiel assassin de son frère :
Il n'en est pas encore sûr, ce qui fait qu'il ne se sert pas encore de la hache prévue :
Néanmoins, malgré la liberté provisoirement accordée à Gaspara Spoglia, Ray Tempio décide de ce qu'il veut, surtout aux yeux de son collègue Julius (Victor Argo) :
Nous ne verrons pas ce meurtre, Abel Ferrara nous invitant juste à l'imaginer... Mais nous découvrirons par contre peu de temps après le changement d'avis de Ray Tempio, qui va enfin identifier le véritable assassin de Johnny Tempio, un simple employé :
Et malgré l'envie très réelle de ce dernier de se venger, il se retrouve très vite sous les mains implacables de Ray Tempio, qui va le tuer tout comme l'autre - même si nous revoyons, l'espace de quelques secondes, le meurtre très "coloré" de Johnny Tempio :
Que vous dire d'autre, de ce film ? Sans doute ne s'agit-il pas de la plus grande œuvre qu'on ait faite sur ce sujet, qu'il s'agisse des trois Le Parrain (1972, 1974 et 2000), de Scarface (1983), ou encore de Carlito's Way (1993)... Mais l'ambiance en est extrêmement particulière, tourné presqu'exclusivement lors des funérailles, se passant presque toujours dans un sombre noir absolu, et présentant en outre les femmes comme de simples et ennuyeuses épouses, malgré les grandes actrices présentes au second plan (Annabella Sciorra et Isabella Rossellini).
Pas loin des derniers plans, Johnny, Cesarino et Ray Tempio décident enfin de se faire prendre en photo - ou plutôt, de regarder une photo qui existe déjà depuis un certain temps :
Car Johnny est mort, c'est bien connu... Et Cesarino Tempio (Chris Penn, mort hélas lui aussi à l'âge de 40 ans), de plus en plus givré, va s'y mettre à son tour, à commencer par son grand frère Ray Tempio :
Ce qui est, au passage, l'une des rares occasions de voir son épouse Clara Tempio (Isabella Rossellini) :
Pour continuer - et terminer - avec lui-même, Cesarino Tempio, qui se pose pour une fois la bonne question :
Comme vous le voyez, il ne s'agit pas d'un film spécialement facile, quasiment dépourvu de scène d'action, et plongeant sans arrêt sur la vie complexe et malsaine des trois frères. La musique y tient également une place très importante, bien sûr composée par Joe Delia, et tout à la fois chantée et dansée par Chris Penn, qui tient là l'un de ses plus grands rôles cinématographique :
Je vous livre bien sûr un trailer :
Je ne sais pas si je vous ai donné envie de le voir, mais au moins, j'ai fait ce que j'ai pu, n'est-ce pas ?