Daté de 1997, s'agirait-il du meilleur film de David Lynch, avec Sailor et Lula et Mulholland Drive ? Je n'en doute pas une seule seconde - exception faite de ses deux Opus classiquement réalisés, Elephant Man (1980) et A Straight Story (1999), qui parlent d'ailleurs de faits absolument authentiques. Mais ceci reste une exception, n'est-ce pas ?
Car David Lynch se base avant tout sur un certain surréalisme - auquel l'on peut préférer les termes d'expressionnisme, de néo-noir ou de nouvelle vague -, qui est ici fondé sur un roman de Barry Gifford, lequel avait déjà collaboré à Sailor et Lula (1990), et s'engage cette fois-ci dans une écriture à deux du scénario original (bien lancé avec cette fuite en voiture et la chanson I'm Deranged de David Bowie) :
Au début, tout va bien... Le personnage fondamental est Fred Madison (Bill pullman), qui hormis cet inquiétant message de sa boîte - "Dick Laurent est mort" -, voit surtout avec grand plaisir son épouse Renée Madison (Patricia Arquette) :
Et en profite pour faire son métier habituel, saxophoniste de jazz :
C'est alors que Renée Madison découvre un courrier inattendu - qui en fait s'avère être une simple vidéo :
On pourrait s'attendre à voir toutes sortes de choses possibles, dans cette cassette. Mais ils découvrent qu'il ne se passe rien du tout, à part la vue sur leur maison... Et du coup, ils en profitent pour faire l'amour toute la nuit - ce qui bien sûr est magnifiquement filmé :
Ils décident cependant d'appeler la police, on ne sait jamais :
Puis de se rendre tous les deux à une soirée organisée par Andy (Michael Massee), où il rencontre "l'homme mystère" (Robert Blake)... Cette personne, on ne sait pas encore qui il est (peut-être un inconscient, quelqu'un qui existe sans exister ?), mais toujours est-il qu'il a des révélations étonnantes à lui faire - notamment concernant sa double présence, à la fois dans cet appartement et dans la maison de Fred Madison, ce qui a l'air de beaucoup troubler ce dernier :
Très perturbant, n'est-ce pas ?
Ne serait-ce que pour cette raison, Fred Madison décide de rentrer chez lui bien plus tôt que prévu, accompagné de sa femme Renée :
Mais rien ne se produit comme prévu... Bien au contraire, nous sommes alors plongés dans une réalité bien plus sordide, où Fred Madison tue froidement Renée, dans un espace de temps très court :
Ne comprenant pas vraiment ce qui lui a pris, Fred Madison est alors aussitôt arrêté par la police, puis condamné à mort :
Jusqu'ici, tout paraît pour ainsi dire normal - disons qu'il n'y a pas d'incohérence dans la façon de se comporter des hommes... Mais il suffit de bien regarder Fred Madison pour s'apercevoir que celui-ci a l'air bien déjanté, partagé entre son mal de tête et son impossibilité à dormir - que le médecin local va soigner à sa façon :
Que voyons-nous à ce moment ? Un bungalow inconnu dévasté par les flammes, lesquelles se déroulent à l'envers - ce qui à mon sens est très important :
D'autant que cet incendie provient ouvertement d'un film bien antérieur, En quatrième vitesse de Robert Aldrich (1955) :
En résumé, tout va donc à l'envers... Y compris la personnalité de Fred Madison, soudainement remplacée par celle d'un personnage mystérieux, Pete Dayton (Balthazar Getty) :
Est-ce bien raisonnable ? Certes non, et la route en plaine nuit nous en donne l'impression, de même que les plans furtifs sur le meurtre de Renée Madison :
Les gardiens de la prison sont aussi désemparés que nous le sommes, et ceci se comprend aisément :
Les parents de Pete, notamment son père Bill Dayton (Gary Busey), n'ont pas l'air en meilleure forme... Et en fin de compte, seul Pete Dayton semble serein, écoutant allongé dans son fauteuil la musique très calme et brésilienne de Antônio Carlos Jobim, Insensatez :
Son travail comme garagiste nous est présenté avec le chef de l'atelier, et celui-ci ressemble étrangement à celui utilisé dans le film En quatrième vitesse, déjà cité lors de la maison en feu :
C'est alors qu'il rencontre M. Eddy (Robert Loggia), qui est non seulement son client le plus important, mais aussi le plus violent de tous... Comme le prouve non seulement à l'écran ses démêlés avec une simple personne qui voulait juste le doubler, mais aussi sa dispute privée avec Denis Hopper lors de Blue Velvet (1986), laquelle avait bien marqué David Lynch :
Pour l'instant, il n'y a guère lieu de s'inquiéter... M. Eddy aime beaucoup Pete Dayton, et lui réserve même l'une de ses meilleures voitures :
Petit trouble à venir néanmoins dans vos esprits : l'amie de M. Eddy est curieusement la même que la femme de Fred Madison, Renée, mais s'appelle cette fois-ci Alice Wakefield... Et l'on comprend tout de suite que Pete Dayton est déjà amoureux d'elle :
Encore plus étrange : celle-ci est également amoureuse de lui, prend un taxi pour spécialement le rencontrer à l'abri de M. Eddy... Et passe tout de suite à l'essentiel pour tous les deux :
On sent bien que tout ne se passe pas comme prévu... Alice serait-elle une doublure de Renée, de même que Pete Dayton une simple version de Fred Madison, vu dans sa tête ? C'est en tous cas un mystère que l'on sent de plus en plus, surtout lorsqu'Alice fait allusion à son passé avec M. Eddy :
M. Eddy semble d'ailleurs de plus en plus préoccupé vis-à-vis de Pete Dayton, et il lui fait bien comprendre à l'aide de son arme potentielle :
Alice Wakefield en est de plus en plus consciente, d'autant qu'elle se souvient que M. Eddy s'appelait autrefois Dick Laurent - autrement dit, le premier terme qu'à entendu Fred Madison au tout début du film :
Comme M. Eddy n'a plus l'air du tout destiné à jouer, tous les deux se rendent alors chez leur ami Andy, afin de lui voler le maximum d'objets de valeur et de pouvoir partir loin de ce cauchemar... Ce qu'ils parviendraient à faire sans trop de mal, exception faite que Pete Dayton a été un peu trop loin, et l'a malheureusement tué :
C'est alors que nous parvenons dans la phase la plus délicate du film, celle où non seulement Pete Dayton marche halluciné dans un couloir inquiétant, mais aussi celle où l'on voit de nouveau la maison en flammes - qui apparaissait précisément à la mise en prison de Fred Madison :
C'est en fait toujours le bungalow de "l'homme mystère" - celui que certaines personnes verraient davantage sur le terme de "crâne-mystère", ou de "symptôme schizophrénique" :
Mais comme "l'homme mystère" n'est toujours pas là, ils décident finalement d'attendre en faisant l'amour sur la plage :
Puis de la façon la plus curieuse possible, Pete Dayton se change en Fred Madison - à moins que tous les deux n'aient été que des visions spécifiques d'un seul homme par très normal, non ?
A ce moment précis, Fred Madison tombe sur "l'homme mystère" en train de manier une caméra, et lui pose la question que tout le monde attend : "C'est quoi, ton putain de nom ?"... Tout en lui montrant judicieusement l'hôtel "Lost Highway" - "L'autoroute perdue" :
Il ne reste à Fred Madison qu'une seule chose à faire : tuer définitivement M. Eddy - à moins qu'on ne préfère son nom de Dick Laurent, que lui donnaient alors les jeunes filles comme Alice Wakefield :
Suite à quoi, il ne lui reste qu'à fuir à bord de sa voiture le mal qu'il estime présent partout, y compris dans sa propre tête - comme on le voyait très bien au début lors du générique :
Voici un très court trailer, mais qui donne bien l'idée dont le film peut s'avancer dans une direction ou dans une autre, en gardant la même destinée :
A sa sortie en 1997, Lost Highway reçut des critiques mitigées, surtout de la part des Etats-Unis... Mais il était - pour une fois - beaucoup mieux apprécié par la France, et avait même obtenu le statut de film culte, grâce à son manque apparent de cohérence. Peut-être est-ce celui que je préfère de David Lynch, de pair avec Mulholland Drive ou le bien plus normal A Straight Story !
J'ai apprécié ce film aussi, sur le double, le rêve, le fantasme, la femme fatale. Il ressemble d'ailleurs beaucoup à Mulholland drive, que tu aimes aussi. Même ambiance onirique. Ton article m'a rappelé plein de choses, dans ce film et à propos de l'imaginaire de David Lynch. Il n'y a pas que l'image qui est de qualité chez lui, il y a aussi la bande-son ;)
Oui, tu as parfaitement raison : on ne saurait mieux faire sur le rêve, le double, la femme fatale, etc... Et c'est aussi vrai que ce film est plutôt proche de MULHOLLAND DRIVE, vieux de quatre ans de plus (2001 contre 1997) ; mais n'oublions pas cet autre Opus très particulier de David Lynch : THE STRAIGHT STORY (1999). C'est aussi remarquable, dans un genre bien plus raisonnable, et très différent !
2 Comments:
J'ai apprécié ce film aussi, sur le double, le rêve, le fantasme, la femme fatale. Il ressemble d'ailleurs beaucoup à Mulholland drive, que tu aimes aussi. Même ambiance onirique. Ton article m'a rappelé plein de choses, dans ce film et à propos de l'imaginaire de David Lynch. Il n'y a pas que l'image qui est de qualité chez lui, il y a aussi la bande-son ;)
Oui, tu as parfaitement raison : on ne saurait mieux faire sur le rêve, le double, la femme fatale, etc... Et c'est aussi vrai que ce film est plutôt proche de MULHOLLAND DRIVE, vieux de quatre ans de plus (2001 contre 1997) ; mais n'oublions pas cet autre Opus très particulier de David Lynch : THE STRAIGHT STORY (1999). C'est aussi remarquable, dans un genre bien plus raisonnable, et très différent !
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