Ou bien, en français, La Jeune Fille à la perle, un émouvant film sorti en 2003 des mains de Peter Webber, un réalisateur britannique qui n'avait rien fait de réellement convaincant autrefois... Mais peut-être suffisait-il d'attendre, car cette œuvre est réellement très convaincante, pour toutes les raisons que je vais vous donner.
1) Il existe très peu de pièces qui parlent avec autant d'occurrence d'un passé aussi ancien (le XVIIème siècle), en ne sombrant pas dans les habituels défauts - à l'exception, bien sûr, du sublime Barry Lyndon (1975) de Stanley Kubrick 2) On ne saurait imaginer, dans le rôle de Griet, une meilleure actrice que Scarlett Johansson, qui non seulement ressemble étrangement à la jeune fille du tableau, mais qu'en outre j'ai toujours vu jouer avec une grande classe, qu'il s'agisse de Lost in Translation, de Match Point ou de Lucy 3) Enfin, pour m'en tenir à mes attributions, je dois constater que la musique de cet Opus - due au français Alexandre Desplat - est tout simplement extraordinaire, et parfois même digne de Gustav Mahler, vous l'entendrez à la fin de cet article.
Pour ceux qui ne sauraient pas qui est Griet, il s'agit en fait de la bonne au service de Johannes Vermeer (1632-1675), célèbre peintre dans la ville de Delft en Hollande, et qui connut une grande notoriété de son vivant - partant ensuite dans l'oubli, jusqu'à la seconde moitié du XIXème siècle. Tout au début du film, c'est ainsi que l'on voit Griet, complètement désemparée face à tout ce qu'elle a à faire :
Elle doit déjà bien se lier avec Tanneke (Joanna Scanlan), qui lui donne petit à petit différentes instructions concernant les draps ou la nourriture :
Hasard ou pas, c'est dans un marché qu'elle se lie ensuite plus ou moins avec un certain Pieter (Cillian Murphy), lorsque celui-ci la remercie d'avoir refusé une viande trop avariée :
Elle se sent un peu mieux, mais ce n'est pas encore le cas à l'intérieur de la maison, où en la voit relativement complexée face à cette étrange lumière :
C'est alors qu'on la voit pour la première fois avec la femme de Johannes Vermeer, Catharina (Essie Davis), laquelle daigne enfin lui parler, et désigne à Griet le propre bureau du maître - où elle n'a hélas plus le droit de se rendre en personne :
Il importe peu, en fait... Car c'est l'un des points décisifs du film, celui où l'on découvre Griet en train d'observer le moule de corps féminin, s'entrevoir - durant une seconde - dans une glace étrangement ressemblante au tableau pas encore fait, puis enfin de dévorer La Dame au collier de perles (1664), qui représente l'épouse du mécène local portant déjà les perles en question :
Elle s'aperçoit ensuite qu'existe un matériel qu'elle ignore encore, la fameuse chambre noire - qui permet de mieux décortiquer les couleurs existantes :
Vient alors le moment où elle doit se rendre chez le mécène en question, Pieter van Ruijven (Tom Wilkinson), pour lui vendre l'une des toiles de Johannes Vermeer :
Cela pourrait mal se passer, mais le mécène ne fait pour l'instant que des allusions... En montrant au passage à la jeune fille l'une des toiles que Johannes Vermeer a peint pour lui, Le Verre de vin, où il serait soi-disant représenté avec sa femme en train de boire :
Un grand mystère, n'est-ce pas ?
Toujours est-il que Johannes Vermeer apparaît enfin d'une façon bien plus concrète, en train de jouer aux dames avec l'une de ses filles - Cornelia (Alakina Mann), malheureusement l'une des plus haineuses de Griet, à laquelle elle réserve plus d'une mauvaise surprise :
Au milieu de l'Opus, se découvre enfin la fête somptueuse à laquelle Pieter van Ruijven veut absolument assister... Et où les différences envers les servantes et la haute classe sont encore plus visibles que d'habitude :
C'est le moment pour Griet de profiter, le lendemain à la campagne, de l'autre Pieter - homme qui, d'après ce que l'on sait, l'épousa quelques années plus tard, et devint ainsi le père de deux garçons (ce qui est beaucoup plus raisonnable que les onze enfants dont le couple Vermeer était pourvu !) :
Tout ce que nous apprenons vient en fait d'un livre du même titre, publié en Angleterre en 1999 par Tracy Chevalier, et qui lui-même est fondé sur la toile en question, La Jeune Fille à la perle - avec très peu d'éléments rajoutés. En tous cas, ce que l'on sait, c'est que Catharina, l'épouse de Johannes Vermeer, finit par devenir de plus en plus jalouse de Griet, étant donné que Johannes réalise un tableau à partir d'elle - alors qu'il a toujours refusé à sa femme de poser :
Elle sera sur le point de découvrir, puis de lacérer la toile, lorsqu'heureusement Johannes Vermeer la découvre, et finit par l'en empêcher. Une autre personne, que nous découvrons plus longuement à ce moment précis, se révèle également très influente : Maria Thins (Judy Parfitt), la mère de Catharina, qui est non seulement propriétaire de la maison, mais se débrouille en outre très bien pour vendre tous les tableaux de son beau-fils à Pieter van Ruijven, le mécène local :
Il se passe ensuite un certain nombre de choses plutôt désagréables, tel que la tentative de viol de Griet par ce mécène, ou encore le "faux vol des perles" par cette même servante, qui en réalité ne sait rien de ce qui s'est passé - un coup en fait totalement monté par la petite Cornelia, et qui va se trouver lourdement payé de la volonté de Maria Thins.
Mais l'essentiel reste dans l'idée que Cornelia a ainsi donné à Johannes Vermeer : enrichir son tableau par le port des deux perles, qui le rendra totalement unique... Au début, Griet refusera, n'ayant jamais porté de boucle d'oreille. Mais étant donné l'insistance du peintre, elle finira par accepter cela de ses propres mains, quel que soit ce qu'il en coûte :
"Look at me !", c'est le peu qu'il lui dira durant toute cette scène magique, où nous voyons se dérouler le dernier final de cette toile remarquable :
Tout comme moi, vous serez bien obligé de constater l'étonnante ressemblance entre d'un côté l'actrice :
Et de l'autre la vraie Griet, peinte en 1665 :
N'est-ce pas ?
L'on a évidemment beaucoup parlé de la performance de Scarlett Johansson, mais il ne faut pas en dire moins de celle de Colin Firth, l'interprète de Johannes Vermeer, et de la réalisation de Peter Webber, remarquable dans son dosage des formes et des couleurs, qui nous replace fort bien dans Delft à cette époque.
Ultime chose dont je vous ai fait part dès le début, c'est de la perfection de la musique associée - écrite par Alexandre Desplat -, et qui tout en n'étant pas baroque, va entièrement avec les images concernées, comme vous pourrez vous en rendre compte ici :
Je ne sais pas si vous aimerez ce film autant que moi, mais je l'ai trouvé absolument parfait : il se replace très fidèlement dans la ville de Delft au XVIIème siècle, évoque juste en douceur la personnalité des différents protagonistes, retrace éloquemment les difficultés de la peinture en cette époque, et vous donne à aimer - si vous ne le connaissez pas encore - Johannes Vermeer. Meilleure preuve avec le suivant trailer - qui ne dure que deux minutes, et en plus est sous-titré :
En tous cas, j'espère qu'il vous plaira autant qu'au différents jurys du monde entier, qui lui ont donné une bonne dizaine de récompenses - dont la plupart qualifient avec éloquence Peter Webber ou Eduardo Serra, le responsable de la photographie !
Autres biopics (avec entre parenthèses la date du film, et le nom de la personne traitée) : Patton (1970, George Patton), Barry Lyndon (1975, Barry Lyndon), Raging Bull (1980, Jake LaMotta), Elephant Man (1980, John Merrick), Amadeus (1984, Wolfgang Amadeus Mozart), Bird (1988, Charlie Parker), Ed Wood (1994, Ed Wood), Braveheart (1995, William Wallace), A Straight Story (1999, Alvin Straight), The Insider (1999, Jeffrey Wigand), Ali (2002, Cassius Clay), Frida (2002, Frida Kahlo), Marie-Antoinette (2006, Marie-Antoinette), The Last King of Scotland (2006, Idi Amin Dada), La Môme (2007, Edith Piaf), Into the Wild (2007, Christopher McCandless), Zodiac (2007, Arthur Leigh Allen & Robert Graysmith), Invictus (2009, Nelson Mandela), J. Edgar (2011, J. Edgar Hoover), Silence (2017, jésuites portugais)
L’éveil d’un esprit dans une demeure austère, cernée par les grands froids et les lessives éreintantes s’anime soudainement devant les ocres et les bleus, qu’un peintre en manque d’inspiration dévoile devant une ressource corvéable ne faisant que servir du matin au soir.
Deux êtres désœuvrés se rapprochent, communiquent et ressentent, préservés durant des heures précieuses et constructives d’un monde triste ou il l'on ne fait que grelotter, se reproduire ou frotter les sols.
Les doigts s’effleurent, les visages se décrispent, la lumière capturée par la lentille divulgue une nouvelle palette rafraichissant l’étoffe émotionnelle d’un esprit apathique, diminuée quotidiennement par des taches longues et harassantes.
Par les délices des couleurs et des vernis, deux personnages s’interceptent le temps d'un partenariat sensitif en offrant à la postérité une œuvre saisissante et pathétique traversant des siècles de lumières et de cendres.
Le visage de Griet éblouissant de pâleur se teinte d’une rosée affective et reconnaissante devant la découverte d’un nouveau monde synonyme de conscience, révélant à un visage revitalisé une émotion intense dans un contexte dominé en permanence par le labeur, le silence et l’ennui.
N'est-ce pas, que c'est merveilleux ? Pourtant, j'ai vu un certain nombre de films soi-disant "historiques", mais très peu sont de ce niveau-là... Sauf, bien sûr, BARRY LYNDON de Stanley Kubrick, et AMADEUS de Milos Forman !
6 Comments:
L’éveil d’un esprit dans une demeure austère, cernée par les grands froids et les lessives éreintantes s’anime soudainement devant les ocres et les bleus, qu’un peintre en manque d’inspiration dévoile devant une ressource corvéable ne faisant que servir du matin au soir.
Deux êtres désœuvrés se rapprochent, communiquent et ressentent, préservés durant des heures précieuses et constructives d’un monde triste ou il l'on ne fait que grelotter, se reproduire ou frotter les sols.
Les doigts s’effleurent, les visages se décrispent, la lumière capturée par la lentille divulgue une nouvelle palette rafraichissant l’étoffe émotionnelle d’un esprit apathique, diminuée quotidiennement par des taches longues et harassantes.
Par les délices des couleurs et des vernis, deux personnages s’interceptent le temps d'un partenariat sensitif en offrant à la postérité une œuvre saisissante et pathétique traversant des siècles de lumières et de cendres.
Le visage de Griet éblouissant de pâleur se teinte d’une rosée affective et reconnaissante devant la découverte d’un nouveau monde synonyme de conscience, révélant à un visage revitalisé une émotion intense dans un contexte dominé en permanence par le labeur, le silence et l’ennui.
On ne peut pas dire mieux, n'est-ce pas ? Parfois, j'aimerais bien écrire en ces termes... En tous cas, bravo !
Merci Vincent.
De rien, Jean-Paul, de rien !
Merci Vincent de m'avoir permis de connaître ce film merveilleux
N'est-ce pas, que c'est merveilleux ? Pourtant, j'ai vu un certain nombre de films soi-disant "historiques", mais très peu sont de ce niveau-là... Sauf, bien sûr, BARRY LYNDON de Stanley Kubrick, et AMADEUS de Milos Forman !
Enregistrer un commentaire
<< Home