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  • mercredi, février 22, 2023

    INTO THE WILD (SEAN PENN)

    Il arrive très rarement qu'un bon acteur soit en même temps un plutôt doué réalisateur, et pourtant c'est arrivé ici (de même que pour Clint Eastwood, Mel Gibson ou Takeshi Kitano), lors de ce biopic de Sean Penn particulièrement étonnant (2007), qui nous met en scène la courte vie de Christopher McCandless (1968-1992), livrée sous le titre de Voyage au bout de la solitude par le récit de Jon Krakauer en 1996.

    Cette existence, basée sur la traversée de tous les Etats-Unis par de multiples voies, pour se terminer dans le très froid Alaska, est remarquablement interprétée par Emile Hirsch - quasiment un sosie de Leonardo DiCaprio, que d'ailleurs Sean Penn voulait au départ comme principal acteur.

    Et bien sûr, ça se termine assez mal dans ce petit bus abandonné, ce que je vous laisse découvrir dans l'excellent trailer (sous-titré !) :
    Avant que le film ne débute pour de bon (car son périple est marqué par cinq chapitres), on en revient brièvement vers sa difficile enfance - à chaque fois, le texte est récité par sa sœur, Carine McCandless (Jena Malone, que l'on voit très peu au cours de l'œuvre, mais que l'on entend par contre régulièrement) :
    Dans l'université, tout marchait très bien, mais il n'en allait pas de même dans sa famille... Et à l'exception de sa sœur cadette, qui s'entendait très bien avec lui, il pouvait de moins en moins supporter ses parents, entre lesquels régnait le harcèlement psychologique, l'alcoolisme, les non-dits et la violence pure et simple.
    On le voit juste en train de révéler certains de ses secrets à sa mère, Billie McCandless (Marcia Gay Harden), avant de partir définitivement pour sa longue randonnée :
    1) Ayant donné les 24000 dollars dont il jouissait, il ne lui reste donc que sa vieille voiture - qui lui suffit cependant largement pour partir où il  le souhaite :
    Hélas pour lui, elle le lâche brusquement en Arizona, et il l'abandonne pour faire - comme tout le monde - de l'auto-stop, allant tout d'abord vers le sud des USA :
    Christopher McCandless en profite alors pour faire ce qui était suggéré par le titre de ce chapitre, il décide de se rebaptiser Alexander Supertramp, en juillet 1990 :
    Suite à sa rencontre assez inattendue avec un couple de hippies suédois en Californie, il projette finalement d'aller plus loin. Pendant tout ce temps, ses parents - sans aucune nouvelle depuis des mois - ne comprennent toujours rien - notamment son père, Walt McCandless (William Hurt) :
    2) Maintenant qu'il possède un nouveau nom, il ne lui reste plus qu'à trouver un travail, quel qu'il soit, afin de combler les 24000 dollars dont il s'est débarrassé :
    Ce qu'il fait assez rapidement dans les champs de blé du Dakota, où il s'occupe d'une classique moissonneuse-batteuse, dirigé par le très sympathique Wayne Westerberg (Vince Vaughn) :
    A ce moment-là, Christopher semble avoir enfin découvert son but ultime... Ce qui surprend un petit peu Wayne Westerberg, mais sans plus, en fin de compte :
    Ses parents, toujours sans nouvelle, recourent cette fois-ci à des moyens bien plus puissants, incluant la police... Mais Christopher s'en tire grâce à Wayne Westberger, qui se livre lui-même afin de le laisser partir vers la porte de sortie :
    A ce moment précis, il envisage d'aller encore plus au sud, via le Colorado, en pratiquant le kayak :
    Mais il n'envisageait pas du tout à quel point cet instrument était réglementé, de telle sorte qu'il ne lui reste qu'un choix à faire, s'il ne veut pas attendre plusieurs années... Le pratiquer illégalement, ce qu'il va tenter au péril de sa vie, fort heureusement sans véritable gros problème :
    C'est le moment où il donne ses véritables motivations, lues par sa petite sœur... Car au bout du compte, l'argent ne représente finalement pas grand chose, en tous cas incomparable avec la puissance de la nature qu'il a de plus en plus hâte de découvrir :
    3) Là, on se trouve lancé dans une petite recherche, assez courte, mais cruciale  - celle de l'âge adulte :
    Car ce que Christopher va tenter, c'est son premier repas avec un élan qu'il a tué lui-même, mais que finalement il ne va pas manger, écœuré par la grandeur de la chose et son incompatibilité avec sa propre humeur... Si quelques personnes souhaitent savoir comment ce plan a pu être tourné, il est bien réaliste, mais dû à un élan retrouvé déjà mort sur une route :
    4) Une fois passé ce stade ultime de l'âge adulte, Christopher n'a plus qu'à envisager le dernier stade qu'il ne connaissait pas encore, celui de la famille - tellement cela était dégradé dans sa propre vie :
    Il y retrouve un couple qu'il avait déjà connu auparavant, notamment la fameuse hippie Jan Burres (très bien jouée par Catherine Keener, déjà célèbre pour sa participation à Dans la peau de John Malkovich (1999) et Truman Capote (2006) auparavant)... Et il lui dit toujours la même chose, de plus en plus convaincu :
    Il la dit aussi au petit ami de cette dernière, Rayney - Brian Dierker, qui très curieusement n'était pas du tout acteur, mais fut choisi par Sean Penn sur les conseils de Emile Hirsch lui-même :
    Rayney tient beaucoup à lui présenter une jeune fille nommée Tracy (Kristen Stewart, qui fut déjà connue à douze ans (en 2002), dans Panic Room de David Fincher)... Et selon toute apparence, elle n'a absolument rien contre la vente de livres :
    En plus, elle chante vraiment pas mal du tout, vous ne trouvez pas ?
    Mais Christopher ne peut s'empêcher de lui demander son âge, qu'elle débute avec les 18 ans souhaités, mais qu'elle remplace en fin de compte par les plus réalistes 16 ans ! Ce qui ne les sépare pas, loin de là, mais la rend tout de même assez triste :
    Il finit tout de même par partir, non sans regrets, manquant tout juste de passer à l'eau au passage :
    5) Dernier chapitre, peut-être le plus important de tous, où il va d'ailleurs être de nouveau sollicité pour fonder une famille :
    Pas du tout de la manière dont il a failli se rendre coupable, la dernière fois, avec Tracy, mais d'une façon complètement inverse, avec la rencontre en Californie d'un très vieil homme, Ron Franz (Hal Holbrook) :
    Mais il refuse toujours de se laisser aller à un lien, que Ron Franz, à la suite de la mort de sa femme et de son fils, a l'air pourtant d'exiger sans aucune compensation... Hélas pour lui, Christopher n'est pas du tout attiré par cette relation, et pour se faire pardonner, décide de l'emmener en haut d'une montagne - chose qui s'avère difficile pour l'homme âgé, mais pas impossible :
    Meilleure preuve lorsqu'il parvient enfin au sommet :
    Après lui avoir fait un adieu impartial, il décide donc d'effectuer la dernière phase de la route la plus longue possible, entre la Californie et l'Alaska, du très chaud au glacial, en résumé... Tout aurait pu bien se passer, du reste, mais c'est oublier à quel point Christopher était incompétent vis à vis de certains faits, notamment les plantes qu'on peut manger, et celles qu'il vaut mieux éviter d'emblée :
    Résultat implacable : il meurt quelque temps après avoir avalé du Hedysarum boreale, plante très proche de Hedysarum alpinum, mais beaucoup plus toxique... Il termine ainsi son existence à l'âge de 24 ans en 1992, après une centaine de jours passés dans ce bus abandonné :
    Ceci est l'ultime texte gravé de la main même de Christopher McCandless :
    Son visage, imaginé par Sean Penn, et joué par Emile Hirsch :
    Suivi de son authentique dernière photo, prise par Christopher McCandless lui-même :

    Allez, je vous propose un dernier trailer, qui je pense vous donnera une bonne idée de l'Opus :

    Un autre film auquel celui-ci m'a fait penser, c'est le fameux Duel de Steven Spielberg, tourné 36 ans plus tôt en 1971 ! Non pas pour son thème, fort différent, mais pour la beauté sublime de chacun de ses plans, que ceux-ci viennent d'un camionneur invisible du début à la fin, ou au contraire de la marche, du stop et du kayak de Christopher McCandless.

    Là où Sean Penn s'est révélé très fort, c'est dans sa vision de l'idéal du personnage principal, bien plus complexe qu'on ne le croit tout d'abord, et moins axé sur la divinité que sur la propre puissance de la nature, que l'on peut passer toute une vie à contempler sans aucun complexe.

    C'est du moins comme ça que je l'ai vu (et revu), incapable de m'ennuyer durant les presque 2h30 que dure ce film somptueux... J'espère qu'il en ira de même pour vous, et vous souhaite une excellente vision de Into the Wild, une œuvre remarquable de Sean Penn, dont je crois que c'est le seul biopic !

    Autres films du même réalisateur : 11'09"01 (collectif)

    Autres biopics (avec entre parenthèses la date du film, et le nom de la personne traitée) : Patton (1970, George Patton), Barry Lyndon (1975, Barry Lyndon), Raging Bull (1980, Jake LaMotta), Elephant Man (1980, John Merrick), Amadeus (1984, Wolfgang Amadeus Mozart), Bird (1988, Charlie Parker), Ed Wood (1994, Ed Wood), Braveheart (1995, William Wallace), A Straight Story (1999, Alvin Straight), The Insider (1999, Jeffrey Wigand), Ali (2002, Cassius Clay),  Frida (2002, Frida Kahlo), Girl with a Pearl Earring (2003, Johannes Vermeer), Marie-Antoinette (2006, Marie-Antoinette), The Last King of Scotland (2006, Idi Amin Dada), La Môme (2007, Edith Piaf), Zodiac (2007, Arthur Leigh Allen & Robert Graysmith), Invictus (2009, Nelson Mandela), J. Edgar (2011, J. Edgar Hoover), Silence (2017, jésuites portugais)

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    dimanche, septembre 11, 2016

    11'09"01 (COLLECTIF)

    La très grande classe !
    J'avais promis depuis un certain temps que je vous régalerai d'une chronique sur ce film magnifique, c'est donc désormais chose faite... L'idée géniale de ce film, dont il faut avant tout remercier le producteur Alain Brigand, est née au lendemain des évènements du 11 septembre 2001, avec ce pari insensé, notamment pour des questions purement juridiques fort bien explicitées dans les bonus du DVD : réunir, pour une sortie anniversaire en septembre 2002, onze réalisateurs de onze pays différents, avec pour seule et unique consigne de réaliser un court métrage d'exactement onze minutes neuf secondes et UNE image sur le sujet (11'09"01), sans la moindre limitation artistique ou formelle (sinon les habituelles que nous autres connaissons tous bien : pas de propos racistes, diffamatoires ou injurieux, etc)...
    C'était une idée magnifique, qui a de fait donné lieu à un véritable chef-d'œuvre composite, et dont en plus personne ne pourra accuser les auteurs de se sucrer à bon compte sur le dos de la misère du monde, puisque tous les droits cinéma et DVD sont intégralement reversés à l'association Handicap International (en résumé, achetez-le plutôt que de le télécharger lâchement sur Emule, vous dormirez au moins UNE nuit l'âme en paix) !
    Tout ceci fait déjà beaucoup de lignes sans la moindre photo, alors entrons sans plus tarder dans le vif du sujet, quitte à revenir par la suite au hasard des circonstances sur les aspects collectifs de cette œuvre singulière, qui ne sont pas les moins intéressants, loin de là...
    Honneurs aux dames, donc, dans ce détail des onze petits chefs-d'œuvre que je vais m'efforcer de vous livrer maintenant, en précisant juste entre parenthèses (et en rouge) le décalage temporel - très variable - entre l'évènement proprement dit et le moment M où est censé se situer chacun de ces courts métrages...
    1) Samira MAKHMALBAF (Iran)
    (Le jour même)
    Une entrée en matière particulièrement réussie, puisque signée d'une femme dans un pays où la condition féminine n'est pas vraiment super top, disons les choses comme elles sont, et en plus l'éternel ennemi du Grand Satan américain !
    Surtout quand la tâche de cette femme est de vouloir à tout prix éduquer les enfants afghans réfugiés dans son pays - pas facile, quand il faut soi-même payer de sa personne et faire du chantage pour ramener tous les petits à l'école :
    Elle, pourtant, l'institutrice, a entendu l'annonce de l'évènement à la radio, et tente vainement d'éveiller ses élèves en leur disant : "Quelque chose de très important s'est passé aujourd'hui !". Mais devant leurs réactions, soit villageoises ("Ah oui, c'est le père de Aman qui est tombé dans le puit !"), soit de totale incrédulité :
    Elle décide finalement, après une tentative avortée de minute de silence, de leur faire vivre la chose en direct, auprès du four à briques du village (grande leçon de pédagogie) :
    Bref ! Rien à dire : c'était vraiment l'introduction idéale au film dans son ensemble, une fable adorable mais cruelle sur la médiatisation (ou plutôt, sur l'absence de médiatisation, selon les cas)... Malgré sa sobriété, la réalisation est très belle, l'actrice principale très convaincante, et bien sûr, les enfants sont merveilleux !
    2) Claude LELOUCH (France)
    (Le moment même)

    Dois-je avouer que j'avais très peur, la première fois que j'ai visionné ce film, à la seule vue du nom de ce réalisateur (qui n'est tout de même pas réputé pour sa pléiade de chefs-d'œuvres) ? Et bien c'était très con de ma part : il s'agit bien au contraire de l'une des meilleures séquences de l'ensemble, avec cette extraordinaire actrice Emmanuelle Laborit, si émouvante que malgré son infirmité (elle milite depuis des siècles au nom des malentendants), on regrette de ne pas la voir plus souvent au cinéma :
    Parti pris très audacieux : filmer la presque séparation d'un couple - Emmanuelle Laborit et Jérôme Horry, guide newyorkais pour les malentendants en vadrouille vers le World Trade - et sa finale réconciliation, sur fond d'écroulement des deux tours dans le silence le plus total !
    C'est presque aussi gonflé que le film d'Iñárritu, mais ça fonctionne, c'est très beau, très bien interprété, et très émouvant. Avec même une certaine dose de surréalisme, par moment (je ne vous raconte pas la fin !) :
    Bref, une splendeur ! Claude Lelouch ne serait-il pas, au fond, un surdoué du court métrage ...
    3) Youssef CHAHINE (Égypte)
    (Le lendemain)

    Bon. Inutile de le cacher, vu que de toute façon, ça va se voir comme le nez au milieu de la figure : des onze, c'est très franchement le film que j'aime le moins (et apparemment, d'après les quelques critiques que j'ai pu lire, je ne suis pas le seul) ! D'une part, parce que Chahine n'y parle que de lui :
    Mais surtout parce que le propos y est d'une lourdeur, d'une naïveté et d'un "prêchi-prêcha" absolument insupportables à quiconque a dépassé la puberté, basé sur la rencontre de Chahine avec un fantôme du G.I (dont il va bien sûr faire l'éducation de ce pas) :
    En plus, c'est moche, mal filmé, bref, je m'arrête avant d'être vraiment méchant, ça vaut mieux...
    Sinon pour dire que dans le lot, c'est tout de même pour moi le seul qui ait quelque peu outrepassé les limites fixées par les producteurs. On l'a relativement pas mal taxé d'anti-américanisme à l'époque... Mais si vous lisez bien entre les lignes, vous verrez que c'est aussi très largement antisémite. Bref, à zapper absolument lors d'une relecture !
    4) Danis TANOVIĆ (Bosnie)
    (Le jour même)

    Heureusement, tous les goûts sont dans la nature. Et s'il y a des films à zapper d'emblée, il y en a d'autres qui se méritent, et c'est le cas de celui-ci. De même qu'avec celui d'Imamura, je n'ai pas accroché du premier coup, mais plus je le vois, plus je le trouve renversant de beauté...
    Il y a bien sûr la fameuse touche de ce que l'on nommait dans le passé l'humour yougoslave (assez proche de l'humour juif, quelque part) :
    Mais surtout, c'est somptueusement filmé, et le message qu'on veut nous y faire entendre y est délivré dans le silence le plus total (j'allais écrire "avec légèreté", mais c'est faux : ça ne lui donne au contraire que plus de poids) :
    L'image de toutes ces femmes défilant en silence, le onze de chaque mois, en souvenir de tous ceux qu'elles ont perdus à Srebenica (près de 10000 morts en une seule journée !), je pense que vous mettrez longtemps à l'ôter de votre mémoire :
    C'est un peu le thème, aussi, des contributions de Loach et de Gitaï : grâce à la toute puissance des images, l'attentat du World Trade devient un prétendu drame mondial, mais sous-entendu, ce que nous vivons au quotidien dans nos petits pays, tout le monde s'en contrefout, finalement (et rien n'a d'ailleurs changé, depuis) ! Bref, c'est l'exact inverse du film de Chahine : discret, subtil, magnifique... J'adore !
    5) Idrissa OUEDRAOGO (Burkina Fasso)
    (Le lendemain)

    Alors celui-ci non plus, de prime abord, je n'aurais pas dit que c'était l'un des courts les plus géniaux de la série. Et d'ailleurs, je ne le pense toujours pas ! N'empêche que... C'est le seul du lot à traiter le sujet sur un mode humoristique mi-figue, mi-raisin (et rien que pour ça, cela mérite le respect le plus absolu !), mais en outre, il a été parfaitement positionné par les producteurs au quasi milieu du film, offrant ainsi une sorte de respiration absolument bienvenue au cours de ce long métrage finalement très éprouvant, qui nécessite presque autant de boîtes de Kleenex que Titanic couplé avec Sur la Route de Madison.
    L'histoire hilarante de cinq petits gamins alléchés par l'impensable - et indécente - manne des U.S.A :
    Cinq petits gamins qui, d'un seul coup d'un seul, découvrent que le très fameux Ben Laden serait, si ça se trouve, peut-être dans leurs murs, à Ouaga :
    Bravo pour le sosie, au passage... Bref, les gosses piquent la caméra de leurs parents, filment le Ben Laden sous toutes les coutures, dans l'espoir fou d'empocher enfin les "Vingt-cinq 'illions di Dolla', paske, ça se'ait v'aiment t'ès outile, sans 'ire, pou' soigner tous nos pa'ents qui ont le SIDA, le pa'oudisme ou la dysente'ie !" :
    Alors c'est sûr, c'est très rigolo, ça détend, surtout à cette place stratégique, juste avant les deux monuments de Ken Loach et d'Alejandro González Iñárritu... Mais tout compte fait (ça fait déjà quatre fois que je revois ce film, tout de même, en l'espace d'une semaine), cet humour noir (dans les deux sens du terme) est tout de même un peu jaune, quelque part, que l'on ne s'y trompe pas !
    6) Ken LOACH (Angleterre)
    (Quelques jours après)

    L'un des films les plus éprouvants de l'ensemble, certes, mais où l'on retrouve l'inimitable touche du maître anglais : nous faire voir de vrais documentaires sous le prétexte de vrais films (alors que ce sont de "vrais" films, justement, contrairement au soi-disant cinéma social que l'on peut produire dans notre beau pays, de la grosse daube, en résumé) !
    L'argument en est simple, mais glacial : un chilien exilé à Londres (c'était ça ou la prison à vie du temps de Pinochet) écrit une lettre à tous ceux décédés dans l'attentat du World Trade, une lettre pleine de compassion d'un certain côté, mais aussi pleine d'amertume de l'autre. Car c'est aussi un mardi 11 septembre (1973) que le Chili, avec l'aide de Kissinger et de la CIA, a finalement basculé dans la dictature, avec les terribles conséquences que l'on sait. Un film tout en parallèles, mais subtil, et fort bien vu (belle musique, en plus) :
    D'après Ken Loach, le tournage s'est avéré relativement éprouvant pour l'acteur principal du film, qui a vraiment vécu tout ce dont il parle (Vladimir Vega, qui en est également le chanteur, le guitariste, et le compositeur). Ce que moi j'ai trouvé éprouvant, c'est de me voir rappeler des choses tellement atroces (dont j'ai eu connaissance avant même d'être pré-ado) que j'aurais préféré les savoir enfouies au fin fond de ma mémoire :
    Il y a des jours ainsi, comme le dit Zoun, où l'on n'a pas trop envie de se rappeler que l'on est vraiment humain...
    7) Alejandro González IÑÁRRITU (Mexique)
    (Le moment même)

    Alors là, pour moi, celui-ci, c'est le top du top de ce film, quoi, celui qui m'a complètement scotché dès la première vision... Pour tout dire, pour faire un truc aussi barré et provocateur, j'ai bien cru un moment que ce ne pouvait être que l'œuvre d'un verseau (tous renseignements pris, c'est un lion du 15 août, ce qui n'est pas si loin, en fait).
    Raconter en quoi ces 11'09"01 sont aussi délirantes serait bien sûr gâcher totalement tout le plaisir de la découverte... Mais par un coup de chance absolument inouï, il se trouve justement que c'est pratiquement le seul extrait du film que l'on trouve facilement sous Youtube, adoncques : Enjoy !
    Trois conseils afin d'apprécier l'objet dans toute sa splendeur : 1) Regardez-le dans le noir le plus absolu 2) Mettez le son au maximum (et ne trichez surtout pas en le baissant au fur et à mesure !) 3) Attendez au moins trois ou quatre minutes avant d'appeler le service après-vente si votre ordinateur n'affiche plus aucune image !
    Et voilà, c'est parti :
    Pour moi, ça, c'est la définition même de la classe, quoi, c'est tout de même devenu de plus en plus rare de vivre de telles expériences au cinéma (en espagnol - je me suis renseigné - on dirait plutôt un type qui a des Cojones de locura !)...
    Minimaliste, mais parfait, brillant, intelligent, concis, bref, ça dit absolument tout à l'aide de deux seules images, PLUS la fameuse image "en plus" (mais la bonne, celle qu'il nous fallait, "La lumière de Dieu nous guide-t-elle, ou bien nous aveugle-t-elle ?") :
    Certes, bien qu'inaccoutumée, ce n'est pas complètement une idée nouvelle, puisque Kubrick (en 1968 !) avait été le premier à scotcher les spectateurs de son sublimissime 2001 avec, dès le début du film, presque trois minutes d'écran noir, avec en prime le seul géant Requiem de Ligeti (scène quasiment systématiquement coupée lors des diffusions TV, par peur du zapping des téléspectateurs) !
    Ce qui, en revanche, est assez nouveau (mais là, il faut de vraies oreilles de musicien !), c'est la conception canonique de la bande son à son début - c'est exactement construit comme une fugue, mais avec de simples voix, expérience déjà tentée en son temps à la radio canadienne par le très regretté Glenn Gould -, et sa logique en même temps toute ravélienne dans son ensemble, comme le gigantesque crescendo du fameux Boléro (et voici pourquoi je disais qu'il ne fallait absolument pas tricher pour rectifier le volume en cours de route, ce qui gâche vraiment tout)...
    Pour la petite histoire : 1) Ce court métrage (que pour ma part, je considère comme le plus géant du film) n'aurait jamais pu se faire sans l'amitié unissant Alain Brigand et Sean Pean - puisque c'est seulement grâce à la volonté de ce dernier que le réalisateur mexicain a finalement accepté de participer au projet 2) Apparemment, la pire galère sur ce petit film pratiquement sans image a été d'obtenir l'aval de tous les ayant-droits pour les quelques soixante extraits parlés, sonores, ou musicaux, qui composent cette BOF absolument magistrale !
    8) Amos GITAÏ (Israël)
    (Le jour même)

    Alors celui-ci non plus, je ne l'avais pas trop aimé de prime abord (sans surprise, vu que j'avais détesté Kippour, pourtant encensé par la critique)... L'histoire d'une journaliste complètement infatuée de sa personne, en plein cœur d'un attentat à Jérusalem :
    Et qui petit à petit, finit par péter complètement les plombs en apprenant que, en ce 11 septembre 2001, personne n'en a plus rien à foutre, de son petit attentat local (thème très proche, donc, quelque part, de celui de Tanović) :
    Bon, j'adore toujours pas des tonnes, mais tout de même : un seul et unique plan-séquence de 11'09"01, ça se respecte, là, comme prouesse, non ?
    9) Mira NAIR (Inde)
    (Quelques mois plus tard)

    Très beau film, celui-ci, et dans une approche qu'aucun autre réalisateur n'a abordée : la vision des musulmans aux USA après cet attentat. Avec en outre une attention aux détails et aux couleurs qui est assez rafraîchissante (je ne sais pas dans quelle mesure ceci peut être lié à la culture pakistanaise ?) :
    La peinture assez noire d'un New York où tout le monde recherche un dénommé Salman (forcément, avec un prénom comme ça, ce ne peut être qu'un terroriste !) :
    Avec au passage ce dialogue assez savoureux (et bien piquant, quelque part), entre la mère de l'enfant disparu et l'agent du FBI qui enquête sur l'affaire :
    - Mais c'était un bon citoyen américain, regardez, il adorait les jeux vidéos et les films de science-fiction ... C'était un fan de Star Trek !
    - Ah, non, Madame... Ça, c'est Star Wars !
    Et cette conclusion, où enfin (Mea Culpa quelque peu tardif), l'on finit par réhabiliter la mémoire de ce musulman de 23 ans...
    10) Sean PENN (U.S.A)
    (Le moment même)

    L'un des très grands moments du film... Pour tout dire, ça m'a complètement bluffé la première fois, et même à la quatrième, je trouve toujours ça aussi sublime ! Rien que sur le simple plan artistique : je crois ne jamais avoir vu de ma vie un court métrage exploitant pratiquement TOUTES les possibilités d'une caméra (de très loin, de très près, du haut, du bas, à l'envers, etc... Bref, quasiment du Scorsese, en seulement onze minutes !) :
    Plus on s'approche de la fin du film, et plus celui-ci devient abstrait, en quelque sorte (dommage qu'il n'y ait eu que onze contributions, sinon, c'était quasiment une métaphore du Zodiaque !)... Ici, Sean Penn nous raconte juste l'histoire d'un vieillard un peu paumé, parlant tout seul, et qui n'arrête pas de préparer des robes pour sa femme décédée depuis longtemps :
    Et durant son sommeil, tandis que les fleurs chéries de son épouse se fanent en même temps que les deux tours s'effondrent (l'analogie marche encore bien mieux, en anglais : "Flowers/Towers") :
    La vie finit pourtant toujours par trouver son chemin :
    Avec cette dernière image magique : le vieil homme admiratif devant cette floraison, tandis qu'à gauche, l'on ne perçoit que comme une ombre, et grâce à la bande son l'effondrement des deux tours :
    L'une des choses qui me marque le plus dans ce petit grand film, c'est en outre la polysémie des points de vue pertinents possibles - signe de presque tous les chefs-d'œuvre. Pour Sean Penn, c'était avant tout une façon de dépeindre la compassion d'une façon moins factuelle, et plus universelle, de ce fait même... Une façon, selon ses propres dires, de clamer à quel point la perte d'un être cher est insupportable, que cette personne se soit éteinte sous les deux tours, ou bien d'un cancer, ou de simple vieillesse. Pour ma part (surtout dans les plans finaux), j'y vois aussi autre chose : le fait que l'on puisse choisir que ce monde - qui ne sera jamais parfait, arrêtons de rêver ! - apparaisse dans toute sa laideur, ou au contraire dans toute sa beauté... Car tout n'est finalement qu'affaire de regard (et quelle plus belle leçon de la part d'un cinéaste) ? Merci Sean Penn !
    11) Shohei IMAMURA (Japon)
    (56 ans auparavant)

    Si, comme je l'ai un peu avancé précédemment, ce film pourrait presque apparaître comme une métaphore zodiacale, il est clair que la contribution très déroutante d'Imamura ne pouvait pas mieux figurer qu'en dernière place de cet Opus. Le film entier est entièrement construit à partir de ce poème de Majusi Ibuse :
    Sur une idée très étrange, a priori : celle d'un soldat démobilisé en 1945, qui depuis lors se prend pour un serpent, et ne fait que ramper au milieu des membres de sa famille :
    Le tout sur fond de contexte bien connu, Hiroshima (広島) :
    Toute la morale du film (et même, des onze films) pourrait tenir dans cet unique plan :
    Et bien, euh... Oui, des fois, quoi...
    Et quand au plan final (Seisen na'n ka ari wa shinai : "Il n'y a pas de guerre sainte"), on ne sait trop quoi en penser :
    Car la symbolique du serpent est très différente, en orient et en occident : alors qu'à cause de la Bible, nous n'y voyons que le mal, en partie grâce à son phénomène de mue, le serpent représente en Asie plutôt un symbole positif, synonyme de longévité, de croissance et de prospérité...
    Ceci dit, Imamura sachant d'emblée qu'il s'adressait à un public mondial, je ne pense pas que cette dernière image soit innocente, finalement... "Il n'y a pas de guerre sainte", certes, vivons tant qu'on le peut dans le bonheur, l'opulence et la léthargie... N'empêche que le serpent, lui, ne dort jamais, et vous tient toujours un petit truc bien sympa derrière le coude !
    J'aurais certes encore plein de choses à rajouter, notamment au niveau formel ou des rapports entre certains films, mais bon... Là, par contre, et vu qu'on est en plein festival de Cannes, je vais essayer de vous dresser mon propre palmarès :
    1) Iñárritu (mais vous le saviez déjà) !
    2) Penn
    3) Loach
    4) Lelouch
    5) Imamura (Ex-aequo de 5 à 8, en fait)
    6) Makhmalbaf
    7) Tanović
    8) Nair
    9) Ouedraogo (Prix spécial du public) !
    10) Gitaï
    11) Chahine (Mais vous le saviez déjà aussi) !
    Merci d'avance pour les commentaires !

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